Quand on relit ce texte de Pentecôte, ne pourrait on pas accuser Dieu de « faire le buzz » ? Faire le buzz c’est quoi : faire parler de soi, beaucoup, dans le seul but de faire parler de soi pour avoir le maximum de publicité. L’important c’est la publicité, pas ce que dit la personne qui se fait beaucoup de publicité.

Parce que dans ce récit, un des récits les plus connus du Nouveau Testament, il y a à peu près 250 mots pour nous dire où ça se passe, ce qu’on entend, ce qu’on voit, une histoire de langue de feux, de personnes qui parlent en langue… Mais ils entendent quoi dans leur langue ? Ils leurs disent quoi les apôtres ? On en sait presque rien… ça se résume en 4 mots sur 250 : les merveilles de Dieu ; les œuvres grandioses de Dieu. Il n’ a tellement pas été retenu ce qui se disait pendant cet événement à grand spectacle, le message théologique passe tellement peu qu’il faut ensuite que Pierre reprenne la parole pour expliquer le sens pendant un long discours presque trois fois plus long.

Dans les années 1960, un chercheur Mac Luhan, disait qu’avec les médias modernes, le média était plus important que le message, la façon de dire les choses étaient plus importantes que ce qu’on disait. Alors certes Dieu est très moderne, moderne dans les années 60 ou moderne aujourd’hui s’il savait déjà faire le buzz il y a 2000 ans. Mais on pourrait l’accuser d’avoir à Pentecôte précédé le pire du moderne : le média plus important que le message – le spectacle pyrotechnique de Pentecôte pour juste 4 pauvres petits mots de fond – les merveilles de Dieu -, de faire le buzz, une énorme publicité puisqu’on est encore là-dessus 2000 après, et aujourd’hui dans le monde entier dans toute les églises… mais pour ne pas dire grand-chose.

Alors, oui, si on reste dans notre position de lecteur qui cherche dans le texte ce qui est dit explicitement par ces langues débridées, et alors on n’a que 4 petits mots : les merveilles de Dieu.

Une expérience

Pourtant, on sait que ce texte dit bien plus sur le fond que ces 4 petits mots et que même, ce texte, s’il nous parle, c’est d’autres choses que des « merveilles de Dieu ». Ce texte nous touche parce qu’il nous raconte une expérience – pas un discours comme ce que fait Pierre ensuite. Mais une expérience particulière.

Une expérience qui est vécue ensemble par Dieu – sous la forme de son esprit, les disciples et la foule. Une expérience où Dieu n’est pas là-haut mais entre toutes les personnes, fait le lien avec eux. Une expérience où des gens viennent du monde entier et là, ils se comprennent tous. C’est d’abord une expérience de communion, d’un ensemble horizontale. En quatre mots – 4 autres petits mots – ça serait : Tous frères et sœurs.

Une autre expérience est vécue. On oppose traditionnellement Pentecôte au mythe de Babel. A Babel, le projet échoue à cause du fait qu’ils se mettent à parler des langues différentes. Là aussi, on parle des langues différentes mais ça marche : la première communauté chrétienne – 3000 personnes reçoivent le baptême à la fin – se construit. Il y a une autre opposition avec Babel, si vous vous souvenez du billet de Muriel Menanteau la semaine dernière sur ce blog : à Babel, les humains étaient autoritairement assimilées aux briques utilisées pour construire la tour, tous pareil tous, carrés, alors qu’ils auraient pu être des pierres vivantes, qu’on aurait pu construire la tour avec des pierres, toutes différentes dans leur forme, leurs couleurs, leurs imperfections. A Pentecôte, on a une expérience où certes les uns parlent et les autres écoutent, mais où chacun entend dans sa propre langue. Il n’y a pas moins de 17 origines citées – ou 12 suivant comment on compte –, et donc un bon paquet de langue, sans compter qu’ils parlaient sans doute aussi des langues qui n’existent pas – vous savez le fameux parler en langue qui se pratiquent encore aujourd’hui dans les églises dites charismatiques. Ils vivent donc une expérience où l’horizontalité, la communion, la Fraternité et l’égalité ne se vivent pas dans l’uniformité – comme à Babel – mais dans la diversité. En quatre mots, – 4 autres petits mots – on pourrait dire : Unis dans la diversité.

Parler une autre langue que les mots

Alors, certes, l’auteur du récit de Pentecote – ou Dieu quand il a organisé ce barouf – aurait pu économiser. Au lieu de 250 mots, trois fois quatre mots – Les merveilles de Dieu ; Tous frères et sœurs et Unis dans la diversité. 12 au lieu de 250. Imaginez le nombre d’abres sauvés en 2000 ans ! Mais vous voyez bien que ça n’aurait pas eu le même effet. Vous, je ne sais pas, mais moi, je ne me souvenais pas que les langues parlaient « des merveilles de Dieu », mais je me souvenais du récit de cette expérience incroyable. Et en gros des messages : Tous frères et sœurs et Unis dans la diversité. Dieu a fait le choix de parler à travers l’expérience vécu, l’expérience partagée par le récit et non seulement par des idées, des mots. Et pourquoi ?

Il y a une phrase du texte que je n’avais pas remarqué lors de mes précédentes études de ce texte : « ils se mirent à parler en d’autres langues selon ce que l’Esprit leur donnait d’exprimer ». Vous ne parlez pas la même langue suivant ce que vous avez à dire. On ne parle pas de la même manière à un bébé, un enfant et un adulte. A quelqu’un qui maitrise bien le français ou non. On dit que le français est la langue de l’amour. Et tous les rockers français vous le diront, l’anglais s’adaptent mieux au rock’n’roll. Suivant ce que vous avez à dire, vous ne parlez pas la même langue. Et bien il y a des messages dont la langue, ce sont des mots. Et des message dont la langue est l’expérience.

Tous frères et sœurs. On sait bien, qu’on a beau l’entendre, des parents, de nos sœurs et frères, des responsables politiques, c’est l’expérience, ce que nous avons vécu qui nous fait l’entendre et y croire…. Ou pas. Y compris certains mots – de rejet de mépris ou au contraire d’amour –, le fait de les entendre est qu’elle que chose qu’on vit car ils nous font du mal ou du bien. Les entendre est d’abord une expérience.

Unis dans la diversité. Ça a beau être le slogan de l’Europe, là aussi, c’est parce que j’en vis l’expérience, celui d’être reconnu dans ma différence sans être mis de côté qui fait que je l’entend, j’y crois… ou pas. Et là aussi, les mots – qui disent le rejet, le mépris, sont aussi des expériences.

D’ailleurs, cette langue de l’expérience, n’est-ce pas ce que nous vivons dans nos Fraternités ? Quand nous avions monté la Fraternité de Gennevilliers, le travail consistait à donner confiance aux gens, pour qu’il puisse se sentir capable d’agir et de se faire entendre. On ne leur faisait pas de discours, c’est dans l’action concrète avec eux qu’ils réalisaient qu’ils en étaient capable. On le sait dans nos Fraternités, c’est une chose de dire aux gens qu’on accueille, Tous frères et sœurs, unis dans la diversité, qu’ici on vit la Fraternité, mais c’est parce que ça se vit dans la Frats – ou l’église locale – qu’on entend le message. Ou que ça ne se vit pas et qu’on ne l’entend pas.

Expériences d’Evangile

On se demande souvent si l’Evangile, Jésus sont assez « annoncés » dans nos Fraternités. Mais ne sommes nous pas dans nos Fraternités comme à Pentecôte : c’est entendu parce que c’est vécu. L’Evangile est annoncé parce que les gens vivent des expériences d’Evangile : « Tous frères et sœurs », « unis dans la diversité », « tu peux le faire », « tu étais écrasé, tu te lèves ». Expérimenté. Vécu. Donc entendu.

Il y a des messages – l’amour, la confiance, la confiance en soi, la Fraternité, l’Evangile – dont la langue est d’abord l’expérience. Comme le dit le dernier couplet de la chanson « Parler » que nous allons chanter tout à l’heure et qui est un peu l’hymne de la Mission populaire :

« Si les mots sont des frontières

Qui me rendent impuissant

A renverser les barrières

D’un langage trop savant

Je me ferai parabole

Au milieu de mon quartier

Mes actes seront paroles

D’espérance et d’amitié ».

Alors, pour l’Evangile, comme à Pentecôte, faisons le buzz, mais le bon buzz, celui d’expérimenter l’Evangile avec nos sœurs et frères.