Fin 2022, la Commission évangélisation du CNEF a publié un rapport intitulé Évangéliser la France sécularisée du 21e siècle. L’auteur de cet article, qui avait présidé cette commission pendant une dizaine d’années, a été chargé de rédiger la partie argumentée du livre. L’objectif du rapport est de présenter une approche de l’évangélisation qui permette aux Églises locales de toucher les nombreux Français sécularisés qui vivent sans référence à une appartenance religieuse, parfois depuis des générations. Puisque cette approche de l’évangélisation est avant tout un défi ecclésiologique, l’auteur a ensuite écrit un livre intitulé Une Église en bonne santé. Au cours de cet article, nous verrons dans un premier temps le sens du mot « sécularisation » et les implications de ce concept pour nos Églises évangéliques, et dans un deuxième temps nous nous pencherons sur des propositions concrètes afin de mieux vivre en Église et rayonner avec l’Évangile dans la société contemporaine.

Qu’est-ce que la sécularisation ?

« Séculier » est le mot généralement utilisé pour caractériser les sociétés occidentales actuelles (l’Europe, l’Amérique du nord ainsi que des pays tels que l’Australe et la Nouvelle-Zélande). En guise d’introduction du sujet, voici une définition classique du terme : « La sécularisation d’une société se reconnaît d’abord à l’affaiblissement de la religion dans les mentalités, les mœurs et les institutions. Avant de découler d’une volonté politique et de se traduire dans le droit, la sécularisation exprime la tendance des sujets sociaux à se dispenser d’une référence obligée à une appartenance religieuse. » D’où la nécessité de distinguer deux aspects de la question :

  • La sécularisation est un concept sociologique, c’est-à-dire ce que l’on observe comme « affaiblissement de la religion » dans différents domaines ;
  • La laïcité est un concept philosophique et politique, c’est-à-dire la manière dont on traduit la relation religion/état en termes juridiques.

Cette distinction est plus facile à comprendre dans notre contexte francophone que dans certains pays car nous disposons de deux termes distincts, et effectivement je constate une certaine confusion de la réflexion dans le monde anglophone qui peine à différencier sécularisation et laïcité. Puisque cette confusion a parfois été importée dans les discussions en France, je précise que, dans cet article, j’utiliserai les termes « sécularisation » pour le processus observé et « laïcité » pour notre contexte juridique français, mais que j’évite le terme « sécularisme » qui semble plutôt se référer à une approche militante, une idéologie, qui pousse dans le sens de la marginalisation des religions au sein d’une société donnée, alors que ce terme se réfère souvent dans le monde anglophone à ce que nous appelons en France la laïcité. En tout cas, en France, de nombreux écrits existent concernant le vécu de nos Églises dans la république française laïque. Cependant l’angle « sécularisation » a été moins souvent abordé et c’est cela qui est au cœur de mes réflexions dans cet article. En effet, beaucoup de nos concitoyens sont « séculiers », tout simplement parce qu’ils vivent dans une société sécularisée et qu’ils sont plutôt ignorants de tout ce qui est religieux, sans pour autant être militants anticléricaux.

Dans son ouvrage monumental (plus de 1.300 pages dans la traduction française !) qui fait date, L’âge séculier, le philosophe canadien Charles Taylor propose trois définitions du terme « séculier », qui peuvent également être considérées comme la description de trois stades progressifs de la sécularisation au sein d’une société. On peut résumer ces trois définitions, ou étapes, de la façon suivante :

  1. Le retrait de la pratique religieuse de la vie publique vers le domaine privé ;
  2. La diminution de la pratique religieuse ou le déclin de la croyance religieuse chez les individus ;
  3. Enfin, la disparition d’une société ou de conditions culturelles dans lesquelles il était pratiquement impossible de ne pas croire en Dieu, au profit d’une société dans laquelle la foi, même pour le croyant le plus fervent, n’est qu’une possibilité humaine parmi d’autres.

C’est cette troisième condition qui constitue « l’âge séculier », tel que le conçoit Charles Taylor. Néanmoins, il est vrai que la sécularisation est souvent comprise en premier lieu simplement en termes de chiffres. Par exemple, elle est souvent évaluée en fonction du nombre de personnes (ou du pourcentage au sein d’une population) qui s’identifient en tant qu’athées, agnostiques ou sans affiliation religieuse, une catégorie appelée « nones » dans le monde anglophone. Par exemple, une enquête Pew de 2021 a révélé qu’environ trois Américains sur dix s’identifient comme « nones ». Selon le même sondage, la proportion d’Américains s’identifiant comme chrétiens a chuté de 12 % par rapport à la décennie précédente, tandis que celle des personnes sans affiliation religieuse a augmenté de 10 % au cours de la même période.

Au Royaume-Uni, une enquête religieuse a montré que […]