Par Élian Cuvillier, professeur à l’Institut protestant de théologie de la faculté de Montpellier

L’attitude de Jésus peut se résumer en deux propositions : radicalité de l’interpellation et accueil de la personne. Du côté de la radicalité, on rappellera trois textes. D’abord Matthieu 5, v. 27-28 : « Vous avez entendu dire ‘tu ne commettras pas l’adultère’, mais moi je vous dis : quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis adultère avec elle dans son cœur. » Cette parole n’invite pas à maîtriser ses pensées secrètes mais critique toute autojustification puritaine : « Moi, je ne fais pas cela ! » Ainsi faut-il aussi comprendre la parole sur l’interdit de divorce : « Quiconque répudie sa femme et en épouse une autre a commis adultère avec elle » (Marc 10, v. 11). Jésus dénonce ici l’hypocrisie qui consistait à répudier l’épouse par intérêt personnel. La radicalité est ici au service du plus faible. Elle concerne aussi la famille : Jésus rappelle que le lien biologique, familial ou clanique est toujours second par rapport au lien symbolique que constitue l’écoute de la parole fondatrice de Dieu (cf. Marc 3, v. 31-35).

Du côté de l’accueil, trois épisodes mettent en scène des femmes, à l’époque plus directement victimes de la morale sociale patriarcale : c’est la femme adultère (Jean 7, v. 53 – 8, v. 11) que Jésus renvoie sans la condamner ; c’est la femme samaritaine que Jésus ne juge pas malgré ses cinq maris passés et son conjoint présent (Jean 4, v. 18) ; c’est la femme pécheresse dont Jésus accepte les hommages pour le moins ambivalents (Luc 7, v. 36-50). Toujours, la personne prime sur la morale.

Les idées novatrices de Paul

Chez Paul, le double souci de la personne et de l’équilibre de la communauté ecclésiale s’enracine dans des convictions théologiques fortes : en Christ, les distinctions fondamentales qui structurent la société sont secondes. « Il n’y a plus ni juif ni grec […] ni masculin ni féminin ! » (Galates 3, v. 27-28). Tout aussi fondamentale, sa parole au nom du « temps favorable » inauguré par l’évènement de Pâques : « Que ceux qui sont mariés soient comme non mariés » (1 Corinthiens 7, v. 29-31). L’identité ne se joue pas dans la situation maritale ou même l’orientation sexuelle !

Quelques exemples concrets illustrent cette pastorale. Pour l’apôtre, la vie conjugale se caractérise par une stricte réciprocité entre hommes et femmes : 1 Corinthiens 7, v. 1-16 est exemplaire sur ce point et, au-delà des caricatures attachées à la figure de Paul, ce passage a des accents résolument modernes ! Il est significatif que Paul puisse, comme apôtre dans sa communauté, assumer les deux « fonctions parentales » sans les attribuer à l’un et l’autre sexe (cf. 1 Thessaloniciens 2, v. 7 et 11). S’agissant du mariage, Paul, à l’image du judaïsme de son temps, est en rupture avec le monde romain : la fidélité prônée constitue une défense du plus faible (fonction première de la loi), donc de la femme.

Dans l’épître aux Éphésiens, les « codes domestiques » reprennent le modèle patriarcal de l’époque et sa hiérarchie habituelle : homme, femme, enfant, esclave. Le « subordonné » doit soumission au « supérieur » (Éphésiens 5, v. 22 et suivants). Cependant, tout ceci est ordonné à un préalable : « Dans la crainte du Christ, soyez soumis les uns aux autres » (Éphésiens 5, v. 21). Le cadre culturel est questionné au nom de la foi au Christ.

Concernant l’homosexualité, ce que Paul fustige dans le passage principal où il traite de ce sujet (Romains 1, v. 26-28), à savoir le mode de vie des élites romaines, ne recouvre pas les mêmes réalités que celles que nous mettons aujourd’hui sous ce terme. De plus il s’agit, pour l’apôtre, de souligner que l’humanité est en écart avec la volonté de Dieu. Mais il ne vise en aucun cas des personnes précises dont il s’agirait de « corriger » les pratiques.