Jouer avec Dieu, l’expression n’est-elle pas un peu désinvolte ?
Je ne crois pas. Je repense à la parole de Jésus : « Si vous ne devenez pas comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume… » (Matthieu 18,3). Quand l’enfant joue, il dit souvent « On ferait comme si… Je serais une marchande et toi tu viendrais acheter des pommes… » Il joue et c’est pour lui une réalité. Le croyant est dans la même situation : il fait « comme si » il existait un Dieu, comme si il était face à Lui, comme si celui-ci l’aimait, le pardonnait, l’accompagnait… C’est cela la foi ! Mais quand tout cela paraît impossible et incroyable, faire comme si c’était vrai. Seul un enfant peut nous apprendre cela.
Il y a jeu et jeu, selon vous. Quelle différence faites-vous ?
Il y a le jeu qui a ses règles, librement acceptées par les joueurs. C’est le « game » anglais. Et il y a le jeu créatif sans règles précises, si ce n’est celles du langage symbolique. C’est le « playing ». C’est au second bien sûr que se réfère Godly Play.
Pourquoi nous méfions-nous tellement de l’imaginaire ?
Depuis le XVIe siècle, le ressort de toute catéchèse chrétienne s’appuie sur le statut de la raison. En ayant recours à l’imaginaire, les catéchètes classiques ont peur que la tradition chrétienne dégénère en une série d’impressions floues sans aucune objectivité. Mais aussi, peut-être, que le caractère historique de la révélation se métamorphose en contes de fées… La fonction de l’imaginaire n’est reconnue que dans la mesure où nous tenons celle-ci fermement en laisse, comme si elle était un animal dangereux et incontrôlable. Je peux comprendre ces réticences, surtout à notre époque où l’imaginaire est dévoyé et rempli de peurs. Mais j’affirme tout de même que la pensée humaine ne se réduit pas à la rationalité : elle est rationnelle et symbolique. Une catéchèse de l’imaginaire, si elle est bien menée, peut être cohérence et structurante !
Comment concilier liberté de l’enfant et structure ?
Godly Play fonctionne selon un cadre bien identifié : c’est un culte, en fait, avec sa propre liturgie. Le temps et l’espace sont balisés. Il n’y a que deux adultes (le conteur et l’accueillant), on ne regarde pas l’enfant pendant l’histoire, il peut donc réagir à sa guise, et quand il intervient, on ne le juge pas. Tous ces éléments offrent à l’enfant un espace protégé où il est en sécurité.
Il faut faire confiance à l’enfant, dites-vous. N’est-ce pas un peu utopiste et rousseauiste ?
Ce que Godly Play affirme, ce n’est pas que l’enfant est naturellement bon, c’est qu’il est naturellement porté vers la confiance. Aussi n’a-t-il pas besoin d’être éveillé à la foi, car je ne fais pas de différence entre foi et confiance. En grandissant, bien sûr, il va apprendre à hiérarchiser ses diverses confiances et se rendre compte que certaines sont incompatibles.
Godly Play apprend à l’enfant à manier le langage de la Bible, de la liturgie et du silence. Ce qui va à contre-courant d’essayer d’adapter notre langage chrétien au langage laïc…
Des mots comme salut, grâce, rédemption… ne sont pas compréhensibles car ce sont des concepts. Or, le langage chrétien est surtout fait de récits, de symboles et d’images. Je pense qu’il n’est possible de comprendre ce qu’est la grâce, par exemple, qu’en passant par le récit, l’image ou le symbole. De comprendre vraiment, je veux dire, c’est-à-dire pas seulement par l’intellect, mais de tout son être.
Après dix ans de formation à Godly Play dans les paroisses de Sélestat et celle d’Ensisheim, quel bilan faites-vous ?
Sur le terrain, j’ai la chance de travailler avec des pédagogues qui me font confiance et en qui j’ai confiance. Au départ, la méthode est un peu insécurisante : « Quoi, on ne leur offre donc aucun contenu ? On ne leur apprend plus rien ? » Il s’agit de faire confiance à la Parole qui traverse ces textes bibliques. Je peux témoigner du plaisir des catéchètes, mais aussi du fait qu’elles n’ont plus eu, depuis, à faire face à un seul exemple d’indiscipline ! La méthode permet aussi d’économiser de nombreuses réunions de préparation collective, puisque le conteur se prépare individuellement et que les bricolages sont libres, sans forcément de lien avec l’histoire.
En France et dans les pays latins, la méthode prend nettement moins bien qu’en Suisse, Belgique flamande, Pays-Bas ou Angleterre. C’est dommage, à mon sens, car le catéchisme historique et conceptuel n’a plus d’avenir dans notre époque postmoderne.