Deux mille ans que le « mystère Jésus » fascine. Le personnage a influencé l’Histoire au point que le calendrier distingue les années « avant Jésus-Christ » et celles de l’ère dite chrétienne. Il aurait pourtant été assez logique que Jésus de Nazareth tombe dans l’oubli : il n’a écrit aucun livre, fait aucune découverte, gouverné aucun pays ; réformateur religieux comme il en existe toujours et partout, il est mort jeune et rejeté par tous. Certains aspects de sa biographie restent des énigmes, d’autres sont régulièrement remis en question. Rares sont cependant celles et ceux qui, actuellement, vont jusqu’à contester son existence historique.

Si, pour le Nouveau Testament, Jésus est le Fils du Dieu vivant et si, grâce au témoignage des premières communautés chrétiennes, son histoire s’est inscrite dans celle de l’humanité, il n’en reste pas moins qu’à la question « qui est Jésus ? », les réponses sont multiples : maître de sagesse, prophète, révolutionnaire, grand initié, extra-terrestre ou, selon la plupart des chrétiens, Dieu en personne. Entre les données historiques, la légende et ce qui relève du domaine de la foi, il n’est pas toujours facile de faire la part des choses. C’est pourtant essentiel, tant pour se positionner soi-même que pour entrer en dialogue avec celles et ceux qui pensent et croient autrement.

4 questions à Marc Vial, professeur à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg

  • Que signifie le mot « Christ » de « Jésus-Christ » ?

L’expression « Jésus-Christ » condense une affirmation : Jésus est le Christ. Le mot « Christ » est donc un titre donné à Jésus : celui de « Messie » (dont il constitue la traduction grecque). Au I er siècle de notre ère, ceux qui attendaient le Messie espéraient la venue d’un personnage au travers duquel le règne de Dieu sur le monde serait instauré. Les auteurs du Nouveau Testament avaient de bonnes raisons pour le conférer à Jésus : il avait annoncé l’irruption du Royaume de Dieu et l’avait incarné, en rendant notamment aux réprouvés leur identité d’enfants de Dieu. Sa résurrection, signe d’une réalité au sein de laquelle la mort ne règne plus en maître, atteste également sa dignité messianique.

  • Quand on dit que Jésus est/était « Fils de Dieu », de quoi parle-t-on ?

La confession de Jésus comme Fils de Dieu résulte d’abord de la manière particulière dont cet homme se rapportait à Dieu, s’adressant à lui avec une familiarité inouïe (« papa »). La foi chrétienne ne se contente cependant pas de dire que Jésus a été Fils de Dieu : elle prétend également qu’il l’est  et ce, de toute éternité, dans la mesure où la divinité même de Dieu est engagée dans l’histoire et le destin de Jésus qui, en donnant sa vie pour nous, a concrètement mis en œuvre le projet du Père. En lui, Dieu s’avère être notre Père : celui qui se rapporte à chacun d’entre nous comme à un enfant bien-aimé et irréductible à tout autre. Car de Jésus, dont on dit qu’il est le Fils unique, on dit également qu’il est le « premier-né d’une multitude de frères ». Il n’y a là aucune contradiction : Jésus est par nature ce que nous sommes appelés à devenir par adoption.

  • Jésus était-il homme ? Dieu ? Les deux ? En quoi est-ce important pour les chrétiens ?

La théologie chrétienne classique parle de la double nature de la personne du Christ. On veut dire par là que Jésus-Christ est tout à la fois vraiment Dieu et vraiment homme. C’est là une affirmation capitale parce qu’elle décide de l’identité de Dieu et de la nôtre. La foi chrétienne dit de Jésus qu’il est vraiment Dieu parce qu’elle voit en lui le visage humain de Dieu, c’est-à-dire celui en qui Dieu lui-même a parlé et agi : la manière dont cet homme a envisagé les autres humains est la manière même dont Dieu envisage tout être humain. La foi chrétienne dit de Jésus qu’il est vraiment homme parce qu’elle voit en lui l’être humain que Dieu a en vue : celui qui, reconnaissant Dieu comme son Père, se rapporte à autrui comme à son frère ou à sa sœur et qui est destiné à la vie en plénitude.

  • On dit que « Jésus-Christ nous sauve ». De quoi nous sauve-t-il aujourd’hui ?

Le salut résulte de l’acte par lequel Dieu a libéré le monde des puissances hostiles au projet qu’il nourrit pour lui et dont nous ne pouvons  venir à bout par nous-mêmes : le mal, le péché et la mort. On peut dire de Jésus-Christ qu’il est notre salut en ceci que c’est en lui que les trois puissances susmentionnées ont été défaites, c’est-à-dire privées, parce qu’elles ont été traversées par lui, de leur emprise sur nous. Nous connaîtrons certes la mort et la connaissons déjà indirectement (en pâtissant de la mort de nos proches). Mais, cette mort étant morte en Jésus-Christ, elle ne saurait avoir le dernier mot. Nous subissons certes  le mal et sommes sous l’empire du péché. Mais, si ces puissances nous défigurent, elles ne nous définissent pas : nous sommes plus et autre chose que ce que la vie a fait de nous et que ce que nous avons fait de notre vie jusqu’à présent. Parce que Jésus-Christ nous a précédés, il est notre avenir et nous ouvre un avenir – dès maintenant.