Un projet interconfessionnel et collectif, le premier du genre dans le monde francophone. Questions à Thierry Legrand, professeur à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg et initiateur du projet.

Comment vous est venue l’idée d’une bible manuscrite ?

Nous avons eu une information concernant le projet du pasteur Uwe Habenicht de la paroisse de Saint-Gall en Suisse alémanique. Son projet baptisé la Bible Corona (Corona-Bibel) consistait à faire copier par ses paroissiens, tous les textes bibliques, Ancien et Nouveau Testament. Avec Valérie Duval-Poujol, vice-présidente de la Fédération protestante de France, cette idée nous a enthousiasmés et nous avons souhaité élaborer ce même type de projet, mais en vue d’une édition à destination du monde francophone. Nous avons commencé fin avril et tout s’est fait très vite. Il y avait 410 chapitres à copier, 10 400 versets, il nous fallait donc au moins 500 volontaires. Il nous fallait aussi une infrastructure pour nous soutenir. L’Alliance biblique française a accepté de nous suivre. Son directeur, Jonathan Boulet, et ses équipes se sont engagés sans hésiter. Ils nous promettaient même d’avoir en trois jours, un nombre largement suffisant de copistes. Par sa lettre d’information envoyée régulièrement à plusieurs dizaines de milliers de personnes, l’Alliance biblique a lancé l’appel. De mon côté, j’ai contacté des proches, des amis, des paroissiens, des pasteurs d’Alsace et de Lorraine… Dans la semaine qui a suivi le lancement de notre appel, nous avions déjà plus de 500 copistes enthousiastes !

Quel était le cahier des charges des copistes ?

Tout d’abord, contrairement à ce que proposait le pasteur Uwe Habenicht, qui laissait le choix de la langue et de la version, nous avons demandé que ne soient recopiée que la version de la Nouvelle français courant. Nous souhaitions seulement copier le texte brut sans les numéros de versets, ni les sous-titres. Par contre, nous avons préféré nous limiter aux Psaumes et au Nouveau Testament. Nous aurions voulu recopier toute la Bible, mais l’Ancien Testament, c’était trop énorme. Nous étions en période de confinement et craignions de ne pas avoir les copies dans les temps et de ne pas pouvoir achever ce travail dans un délai raisonnable. Chaque copiste devait écrire un chapitre à la main et pouvait l’illustrer ou non. Contrairement à ce que je pensais, nous n’avons pas reçu des présentations qui partaient dans tous les sens. Le résultat est équilibré. Des chapitres sont présentés avec des enluminures, il y a beaucoup de dessins de fleurs et d’autres symboles, surtout il y a des illustrations très colorées. Malgré le contexte plutôt grave lié au confinement que nous étions en train de vivre, les illustrations sont gaies et positives. Dernier élément important : pour rendre leur copie, les personnes avaient quinze jours. Nous avons tout reçu en trois semaines.

Qui étaient les copistes ?

Nous avons réservé quelques psaumes pour des personnalités, comme Olivier Giroud, le footballeur international, Irène Frachon, la médecin qui a révélé le scandale du Mediator, Denis Mukwege, le médecin prix Nobel de la Paix, Gérard Larcher, le président du Sénat, Christian Albecker, le président de l’Uepal, François Clavairoly, le président de la FPF et d’autres personnalités catholiques et orthodoxes. Les copistes sont de 30 nationalités différentes, viennent de toute la francophonie et ont entre 7 et 93 ans. Il y a des évangéliques, des baptistes, des luthéro-réformés, des anglicans, des mennonites, des adventistes, des salutistes, des catholiques, des orthodoxes… Ce sont aussi 56 pasteurs (21 femmes, 35 hommes, 8 aumôniers et 4 missionnaires). Au total, les deux-tiers des copistes se déclarent protestants. Il y a également deux athées et trois agnostiques qui étaient intéressés par la Bible comme objet littéraire. Une chose intéressante à noter enfin : on compte 70% de femmes parmi les copistes.

Et maintenant que vont devenir ces pages ?

En plus d’une édition de librairie, les documents originaux scannés en hautedéfinition, ont été rassemblés en trois volumes reliés cuir qui, ensemble, pèsent plus de 8 kg. C’est un atelier à Uzès dans le Gard qui a effectué ce travail remarquable. Il y a un volume pour les Psaumes, un pour les évangiles et un troisième qui va des Actes à l’Apocalypse. L’objectif est de mettre cette bible reliée à disposition des paroisses, non seulement comme un bel objet, unique, mais comme un outil pédagogique. On pourrait imaginer une présentation ou une activité autour du travail de copiste. D’ailleurs, nous avons été un peu surpris, mais il y a eu beaucoup de fautes dans les copies que nous avons C’est difficile à dire. Je signalerai le Psaume 119, copié par les diaconesses de Reuilly. Comme il s’agit du psaume le plus long, les sœurs l’ont découpé en différentes sections. Le résultat, c’est un chapitre avec une vingtaine d’écritures différentes. C’est surtout très puissant, parce que je vois à quel point ce travail a été porté par la communauté.

Témoignages de copistes

« J’ai constaté que l’expérience de copiste n’était pas du tout facile ; je dois avouer que j’ai dû recommencer à plusieurs reprises pour une simple erreur, une rature… J’ai donc beaucoup de reconnaissance pour ceux et celles qui nous ont fait remonter du fond des âges cette parole régénérante et vraie, qui chaque jour nous interpelle et nous guide. » Philippe

« Nous avons eu la chance et la joie de copier l’évangile de notre mariage dont nous fêterons les 30 ans cette année. Nos enfants se sont associés à l’écriture. Merci pour cette belle expérience. Nous avons hâte de voir le résultat. » Michel et Christine