Une parabole parfois comprise comme une justification du capitalisme.  La psychanalyste Marie Balmary en propose une autre lecture (1).

Dans cette histoire, tout semble injuste : une distribution de sommes d’argent certes énormes mais inégales par un maître qui s’absente ; des retours sur investissements qui vont de zéro au double ; celui qui a le moins reçu et n’a pas fait fructifier son capital s’en voit dépossédé au bénéfice de ceux qui croulent sous leur richesse. Sans parler de la conclusion, cruelle : joie pour ceux qui ont fait en sorte de s’enrichir, exclusion de celui qui a gardé son bien en l’état, préférant le cacher sous terre par peur du maître.

Selon la psychanalyste, lectrice assidue des Ecritures, ce texte ne parle pas tant d’avoir que d’être et de devenir soi. Ce qui ne le rend pas d’emblée plus sympathique. Mais en mettant le doigt sur le fait que nous sommes tous égaux quoique différents, la parabole illustre les méandres par lesquels peuvent passer nos chemins de vie. Qu’il s’agisse de nos capacités intellectuelles, manuelles ou physiques, il n’y a ni formatage, ni calibrage. Chacun est unique et doté de suffisamment de qualités. Autant en tous cas qu’il est en mesure de s’approprier. Pas plus, pas moins. Cela nous rend à la fois « incomparables et frères de l’être ». Là où les choses se compliquent, c’est que le processus qui permet d’accéder véritablement et pleinement à soi relève de la prise de risque, donc de la confiance. Certains sont en mesure d’accéder à l’audace, à la créativité et à la fécondité quelle que soit leur « dotation » initiale, d’autres cèdent à la crainte et au repli, pensant ainsi se protéger d’une prétendue menace. Mais même si la parabole s’achève sur les « pleurs et les grincements de dents » qui en résultent, Marie Balmary estime que l’accès à la joie d’être soi n’est jamais clos. Elle voit dans la colère et la peine un énième don susceptible d’en ouvrir les portes.

(1) Voir son ouvrage Abel ou la traversée de l’Eden, éditions Grasset, 1999.