La fête de Noël survient au moment où la nature est endormie, et la fête de Pâques, au moment où elle se réveille. Les jours rallongent, la lumière du printemps est là et le froid s’estompe. Et on a tendance à interpréter, un peu simplement, la fête de Pâques comme une sorte de slogan : « tout finit par s’arranger ».
Mais, au jour d’aujourd’hui, nous ne voyons pas vraiment le bout du tunnel du confinement dans lequel nous sommes installés, ni de la litanie du nombre de décès quotidiens, même si des lueurs apparaissent ici ou là. Il est donc plus difficile de comprendre Pâques 2020 de cette manière et, de ce point de vue, c’est peut-être une chance.
Pâques, au-delà des rythmes naturels
Le rapprochement avec les rythmes naturels est, en effet, trompeur. D’abord la fête de Noël ne correspond à aucune donnée biblique. Sa date a purement et simplement été collée sur la fête préexistante de la lumière. On pourrait fêter l’événement de l’incarnation à n’importe quel moment dans l’année.
Les évangiles, en revanche, rapprochent tous, et à dessein, la mort et la résurrection de Jésus de la Pâque juive. Les liens entre fêtes agricoles et fêtes juives sont complexes. Mais les liens entre activité agricole et fête sont plus marqués pour le don de la loi (qui est devenu la Pentecôte chez les chrétiens) et les fêtes du 7e mois, à l’automne. La Pâque est, d’abord et avant tout, la mémoire de la libération de l’esclavage, de la sortie d’Egypte et de l’entrée au désert. A ce titre elle se situe au cours du premier mois de l’année dans le calendrier juif. « Ce mois sera pour vous le premier des mois, c’est lui que vous mettrez au commencement de l’année » (Ex 12.2). Il y a, d’ailleurs, apparemment, eu un flottement, dans l’histoire, entre ce calendrier commençant au printemps et un autre commençant à l’automne (où se trouve toujours la fête de Roch Hachana = Début de l’année). Ce mois sera au « commencement » de l’année, dit le livre de l’Exode. Le livre de la Genèse raconte le « commencement » du monde. Le livre de l’Exode raconte le « commencement » d’une histoire nouvelle, marquée par les actes libérateurs de Dieu.
La Pâque est donc l’histoire de la libération de l’esclavage et la résurrection du Christ, de son côté, marque la libération de nos esclavages multiples et variés. De ce point de vue, il y a une différence de nature entre la résurrection du Christ et les autres résurrections que Jésus a opérées pendant son ministère (Lazare, le fils de la veuve de Naïn, la fille de Jaïrus). Lazare et les autres ont été réanimés et ont repris leur vie là où ils l’avaient laissée. La résurrection de Jésus est autre chose qu’une réanimation. D’après les récits des rencontres de la résurrection on s’aperçoit, d’abord, que l’enveloppe corporelle de Jésus n’est plus tout à fait la même. Il apparaît puis disparaît, sans que l’on en comprenne les ressorts, même si les disciples sont capables de le toucher et mangent avec lui. Mais, surtout, sa résurrection a une portée plus vaste qu’une simple réanimation.
La résurrection du Christ, fondement d’une nouvelle histoire
Alors que tant de morts surviennent autour de nous, est-il décent de penser à la résurrection ? Oui, parce que, justement, la résurrection traverse la mort. On peut en rendre compte de deux manières. Avant sa mort (dans l’évangile de Jean) Jésus use d’une image : « si, dit-il, le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance » (Jn 12.24). Manière de dire que sa manière d’être fécond passe par le chemin de la mort. C’est parce qu’il accepte de donner sa vie qu’il accomplit sa mission.
Après sa mort, quand Pierre, le jour de la Pentecôte présente le ministère de Jésus il proclame : « Dieu l’a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible que la mort le retienne en son pouvoir » (Ac 2.24). Jésus échappe au pouvoir de la mort car il y a en lui quelque chose qui lui est profondément étranger.
Comment comprendre cela ? Jésus est venu proposer un chemin, donner un sens à nos existences, ouvrir la voie pour nous rapprocher de Dieu par sa grâce. Il s’est heurté aux forces de mort en ce monde. Mais sa résurrection est l’attestation du fait que c’est bien la lumière qui est venue chez nous, que c’est bien le Fils que nous avons vus, et que la mort ne peut pas prévaloir contre lui. Autrement dit : quelles que soit les vicissitudes de notre existence et même si les logiques de mort prennent le dessus, provisoirement, sur nous, c’est la voie qui donne du sens à ce que nous faisons. Il faut élargir le sens que l’on donne aux mots « vie » et « mort ». On peut vivre, mais être mort intérieurement. On peut mourir, mais avoir témoigné de la force de vie qui est nous.
Ce que nous dit la résurrection du Christ c’est qu’il nous a rejoints dans nos vies ambiguës, puis qu’il nous a précédé dans sa victoire sur la mort, après nous avoir indiqué le chemin de la vraie vie.
Alors oui, nous voyons des êtres disparaître autour de nous et oui, même si je n’ai pas de maladie chronique particulière, mon âge me range à la frontière des personnes à risque. Mais la question essentielle est ailleurs : qu’est-ce que je fais de ma vie, ici et maintenant ? Est-ce que je suis au bénéfice de la vie ouverte par le Christ, ou bien est-ce que je suis enkysté dans les logiques de mort, d’enfermement et d’égoïsme ? C’est là la grande question.