Je n’oublierai jamais le visage grave et sombre de cette femme qui venait de perdre sa fille. Régulièrement elle avait fréquenté sa paroisse, elle s’y était engagée de tout son cœur et voici que l’indicible est venu briser sa vie. Je n’oublierai jamais ce regard profond qui semblait me dire : « il était où ton Dieu pour ma fille, pour notre famille ? »
Lentement je lui ai fait comprendre que le doute n’est pas la négation de Dieu – c’est une interrogation – car la foi n’est pas une certitude, surtout que l’on confond trop souvent certitude et conviction. La foi au contraire est une conviction individuelle et subjective.
Puisqu’elle ne repose ni sur une évidence sensible (Dieu est invisible) ni sur une connaissance objective, la foi implique nécessairement le doute. Les grands mystiques nous le montrent avec force : le doute est proportionné à l’intensité de la foi elle-même. Ils sont nombreux, ceux qui sont les plus proches de Dieu à ressentir douloureusement l’absence de Dieu à tel ou tel moment important de leur vie.
Et Jésus ?
Lorsque je parcours les paraboles, Jésus instille le doute ; jamais il ne propose de solution, il m’appelle parfois rudement à l’exercice redoutable de penser, or penser c’est inéluctablement mettre en équation les choses et les idées pour déboucher sur une conversion du regard et de l’intelligence.
Certes autour de nous, nous côtoyons « ceux qui ne doutent de rien », ceux dont la foi constitue un bloc hiératique de béton et qui forts de leur mortifères certitudes, écrasent ceux qui sont en recherche.
L’exercice de penser me fait découvrir que le doute est lié à la foi ; il épure notre désir et nous libère des idées toutes faites sur Dieu dont on risque d’être prisonnier. Oui, le doute peut être utile, s’il est passager. Pour bon nombre de nos contemporains le doute est devenu un refuge qui évite de s’engager, un habitus en quelque sorte qui favorise l’individualisme exacerbé qui hante notre société.
Refouler ?
Le refoulement du doute conduit à toutes sortes de crispations : intolérance, pointillisme rituel, rigidité doctrinale, diabolisation des incroyants, fanatisme allant parfois jusqu’à la violence meurtrière, l’actualité regorge de ce genre d’informations. Mais il y a encore plus grave, refouler le doute, c’est refouler une part de notre propre humanité et cela ne demeure pas sans conséquences.
Douter pour croire !
Thomas était absent le jour de Pâques quand Jésus ressuscité a surgi à l’endroit où se tenaient les disciples apeurés. Il ne voulait pas croire que Jésus était vivant tant qu’il ne le verrait pas avec ses plaies. Le « douteur » Thomas n’y est pas seulement incité à rester croyant malgré ses doutes, mais à le devenir en vertu même de ces doutes, qui, bien compris, lui seront un motif pour croire.
Je doute, donc il y a sens ; je doute à mon propre sujet, donc j’ai un sens, et mon doute ne peut porter que sur le sens particulier qui est le mien ou celui de telle ou telle chose.
Mon doute n’empêche donc pas que je puisse me trouver dans la vérité, seulement je ne m’approprie pas cette vérité. Comme il me ressemble l’apôtre Thomas ! Les pieux répéteront à l’envi « Thomas le douteur », pourtant Thomas nous apprend que si l’on peut croire sans voir, on ne saurait croire sans réfléchir ! Dans mon doute, je reste habité d’une présence, elle creuse en moi toujours plus profond le désir de Dieu au cœur de ma petitesse ; au jardin de Pâques, il m’appelle par mon nom…