Elu il y a trois ans, le pape François reprend à son compte cette question en affirmant que l’Eglise doit être tournée vers le monde et non vers une autocélébration ou une autoproduction de ses structures. Il paraît clair que cela ne concerne pas que les catholiques. Les orientations de l’UEPAL sont du même ordre. L’Eglise doit avoir le courage de sortir d’elle même, de ses frontières et de ses habitudes, pour aller porter l’Evangile là où il n’est ni entendu, ni reçu. Elle doit aller vers les périphéries géographiques et existentielles. C’est le nouveau paradigme auquel, aujourd’hui, chaque chrétien est confronté. C’est à cette conversion qu’il est appelé.

Jésus de Nazareth a vécu cette mutation profonde. Il a dû se convertir aux païens et passer d’une conception élitiste à l’universalisme qui caractérise l’Evangile. « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël » 1 dit-il au début de son ministère. Proche de sa passion, il ouvre la perspective : « Prenez et buvez-en tous, ceci est mon sang de l’Alliance, versé pour la multitude, en rémission des péchés » 2. C’est ce qu’on peut appeler le paradigme des périphéries.

Aujourd’hui, les périphéries sont tout d’abord géographiques. Le christianisme n’est plus exclusivement européen ou méditerranéen. Il s’étend en Extrême-Orient, dans le Pacifique et dans les nombreuses contrées païennes, dans les pays sous l’influence du bouddhisme, de l’hindouisme ou du shintoïsme. Il est appelé à s’approfondir et à s’inculturer en Afrique et en Amérique latine. Les centres de décision ne sont plus seulement en Italie, en France ou en Allemagne. Voilà qui oblige à des adaptations parfois douloureuses.

Mais les périphéries sont aussi existentielles. Ce sont peut-être même les plus nombreuses car c’est « là où réside le mystère du péché, la douleur, l’injustice, et là où sont toutes les misères du monde ». L’Eglise du Christ est un hôpital de campagne 3 dont le principe repose sur la miséricorde : elle accueille tous les blessés de l’existence et tente de les remettre debout. Il n’y a pas de douane pour y accéder. Ses clients privilégiés sont les pauvres, les pauvres de toute nature, ceux qui n’espèrent plus rien.

Un Cardinal visite un hôpital où sont soignés les malades du sida 4. Il s’arrête longuement, en silence, au lit où repose Poo, un malade qui mourra dans les jours suivants. Il témoigne : « Je crois que Poo perçoit vaguement ma présence ; il sent que sa condition, dénuée de toute grandeur, de tout avenir, de toute valeur, a de l’importance à mes yeux, est digne de mon attention, de ma présence. Il sent qu’il n’est pas rien puisque quelqu’un passe un temps apparemment inutile à son côté. Je lui signifie que sa vie n’est pas absurde puisque je passe du temps avec lui, de la même manière que Dieu a signifié au monde que sa condition n’était pas absurde puisque son Fils s’y est incarné. » 5

Etre le sel de la terre, c’est cela. C’est s’accepter comme les mains de Dieu dans le monde. C’est le postulat des périphéries. Avant d’adhérer à des doctrines, même justes, il importe de faire de sa vie l’incarnation de la tendresse de Dieu pour les personnes que l’on côtoie. Ce paradigme-là prime désormais sur tous les autres dans cet hôpital de campagne dont nous sommes les soignants.