Marguerite vient de fêter ses 78 ans. Elle, si engagée dans l’Église jusqu’à l’âge de 70 ans, voit année après année son champ d’action se rétrécir. Groupe de dames, école du dimanche, fête de Noël, chorale, études bibliques… elle n’a pas ménagé sa peine pour que la communauté vive pleinement, accueille chaleureusement, soutienne courageusement. Mais, l’âge avançant et la santé se dégradant —elle souffre d’arthrose et sa vue diminue— elle a peu à peu renoncé à tous ses engagements et n’a plus que la présence hebdomadaire au culte dominical pour entretenir les liens avec la communauté. En ce dimanche du mois de janvier 2020, elle rentre chez elle le cœur lourd. L’Église était pleine —depuis l’arrivée du nouveau pasteur l’assistance croît de façon régulière— et le culte bienfaisant, mais elle a compris qu’elle n’avait plus vraiment sa place au sein de la communauté.
Tout indique que la vie de l’Église est taillée sur mesure pour les bien-portants : seule la joie est de mise pendant la louange, les messages débouchent toujours sur des appels à l’engagement concret et quant aux annonces, c’est une liste d’activités qui toutes demandent énergie et compétences. Marguerite prend conscience, après avoir elle-même participé à ce « système », qu’il n’y a pas vraiment de place dans l’Église pour les personnes fragiles, malades, âgées, handicapées ou même timides. D’ailleurs, une chose ne trompe pas, le pasteur n’a de temps après le culte que pour les « actifs » : il y a tant à organiser et à régler dans une Église qui grandit !
L’obsession de la productivité
Ce que Marguerite perçoit en vieillissant, c’est ce que je crois observer trop souvent : l’Évangile de la grâce se mue insensiblement en Évangile de la performance dans notre protestantisme militant. Notre insistance, justifiée, sur les conséquences pratiques de la foi, sur l’engagement concret du croyant dans l’Église nous rend perméables à une obsession contemporaine de toute notre société, la productivité. Le temps de travail hebdomadaire a certes diminué (35h au lieu de 39 ou 40h/semaine) mais nous devons faire […]