« Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés ; demeurez dans mon amour. » Jean 15 v.9. Ce verset est une des variantes bibliques du grand commandement d’amour, commandement fondamental pour le christianisme.

Pour l’homme sceptique, il est ridicule ; pour le moraliste, il est une énigme à rationaliser. Le sceptique va vous demander de vous imaginer un père qui ordonne à son fils de l’aimer. Présumons que le fils sait comment obéir. Le fera-t-il ? Probablement pas. Le père qu’il aurait voulu aimer ne sera pas le père qui lui commande, mais le père qui l’aime. « Aimez-moi » est une injonction paradoxale et perverse, redoutée par les psychologues pour sa force psychotique. Le commandement d’amour ne peut faire qu’obstruction à la spontanéité sincère et à l’authenticité.

Le moraliste, quant à lui, entendra dans le commandement une incitation à la rationalisation. Depuis le début de l’histoire de l’Église, on a classé l’amour, ensemble avec la foi et l’espérance, sous le titre des vertus théologales, les vertus essentielles, en quelque sorte. On a compris « amour » comme une obligation d’accomplir de bonnes œuvres. Nos pères bienpensants ont moralisé l’amour pour évacuer l’énigme du commandement. Ils ont fait entrer l’amour dans l’ordre du mérite.

L’amour précède tout

Faisons entrer en scène un troisième personnage. A tout hasard, un philosophe protestant ! Il refusera le scepticisme et déclinera le moralisme. Ni la spontanéité de l’amour, ni l’idée que l’amour se décrète moralement ne le satisfont. Notre verset de Jean 15, 9 lui sert de clé de compréhension : « Comme le Christ est aimé par le Père, nous sommes aimés par le Christ » : c’est donc l’amour qui précède tout. Il n’est ni le contenu (sentiment), ni le résultat (obligation morale) du commandement. Non, l’amour est la condition de l’existence humaine. Il est d’ordre cosmique. Or, si le Christ nous demande d’habiter cette condition, d’y demeurer, le problème du commandement d’amour n’est rien d’autre qu’une question d’accès. Comment accéder à cet amour inconditionnel ?

La voie est celle de l’engagement avec la veuve, l’orphelin, l’étranger. Si moi je veux aider quelqu’un, il se peut que mes bonnes intentions n’aient rien à faire avec l’amour. Que je fasse du bien par intérêt propre ou parce que l’habitude le veut. Et tout de même, en faisant du bien, souvent, je découvre que l’amour fait son œuvre en moi. Malgré moi. L’amour se révèle comme surplus de mes actes moraux. Comme un don inopiné et miraculeux. Alors, on ne peut pas commander l’amour, mais on peut l’inviter à se montrer en faisant nos œuvres de bonne volonté.