Il y a plusieurs grandes religions dans le monde et il est probable, à vues humaines, qu’aucune ne va jamais faire disparaître les autres et devenir la religion universelle. Ce constat est neuf. Au Moyen Âge, on vivait dans un monde chrétien. Et jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’existence d’autres religions ne s’est pas imposée aux chrétiens comme une évidence : elles étaient loin de leur espace géographique ou culturel. On n’y réfléchissait pas vraiment. Mais dans les dernières décennies, la présence de ces religions s’est faite plus perceptible. Elle est devenue une question théologique qu’on ne peut plus éviter. Depuis le milieu du XXe siècle, des théologiens s’emparent de cette question qui touche au cœur de la foi chrétienne, parce qu’elle renvoie à l’annonce chrétienne du salut. Le Nouveau Testament proclame que Jésus-Christ est le Sauveur de l’humanité. Dans ce cas, Jésus-Christ est-il aussi le Sauveur d’un musulman ou d’un bouddhiste ? Les réponses données sont contradictoires. On en formule ici quelques-unes, de manière schématique.
Des réponses qui se maintiennent dans le cadre du Nouveau Testament et de la tradition théologique :
• Le salut est lié à la foi. Il est promis à celui qui croit en Jésus-Christ (Jean 3, v.16-18), consciemment et activement. La prédication chrétienne suscite la foi en annonçant inlassablement le salut en Jésus-Christ, comme une bonne nouvelle, un Évangile. Il n’y a pas de salut sans attachement à cet Évangile.
• Le Dieu de Jésus-Christ veut le salut de tous les hommes (1 Timothée 2, v.4). Si on prend au sérieux cette volonté bienveillante de Dieu, il faut admettre que les humains sont sauvés par Jésus-Christ d’une manière ou d’une autre, même s’ils ne croient pas en lui. Il n’y a pas de salut sans Jésus-Christ. Mais on peut être sauvé par Jésus-Christ en menant la vie d’un hindouiste, par exemple. Et si la pluralité des religions obligeait les chrétiens à poser les questions autrement ?
• «Dieu», «Jésus-Christ» : ce ne sont que des mots, disent d’autres théologiens. «Salut» aussi n’est qu’un mot. Les croyants d’autres religions utilisent d’autres mots, pour désigner la même réalité que les chrétiens appellent «Dieu». Cette réalité, aucun langage humain n’est capable de la saisir ; aucune vie humaine ne peut la refléter pleinement. C’est comme le sommet d’une montagne, qu’on ne voit pas tant qu’on est en chemin. Les chrétiens suivent le chemin de Jésus-Christ. D’autres suivent un autre chemin qui porte un autre nom.
• Les mots importent peu. C’est à son combat pour la justice qu’on reconnaît le vrai croyant et la vraie religion. Les chrétiens ont à démontrer sans cesse, par leurs engagements et par leurs luttes, que leur chemin est un (ou le) bon chemin. Pas si simple…
• Ce ne sont pas que des mots, disent encore certains théologiens. La vie de foi concrète ne peut pas être séparée des mots qu’on utilise pour la décrire et pour lui donner sens ; souvent même, ces mots nous précèdent et nous façonnent. Quand on prétend que les croyants de toutes les religions suivent le même but, on néglige ce qu’ils disent d’eux-mêmes et on méprise leur foi vécue. Il y a autant de buts différents qu’il y a de religions différentes. Le salut chrétien a une saveur qui lui est propre, tout comme le «salut» musulman ou le «salut» taoïste. Entre ces positions, il n’est pas facile de se retrouver. La question a en tout cas le mérite de remettre au centre des interrogations fondamentales pour le chrétien : à quoi ressemble une vie sauvée ? Est-ce que Jésus-Christ marque vraiment la vie du chrétien et lui donne une couleur incomparable, différente des autres ? Il en va de la réalité de ce qu’on appelle le «salut»