Ces différences s’expliquent par les origines linguistiques des Écritures et par l’histoire des Églises.
Première traduction de la Bible
Pour comprendre la différence entre les bibles protestantes, catholiques et orthodoxes, il faut remonter loin dans l’histoire, avant même l’apparition du christianisme.
Au 2e siècle avant notre ère, alors que la langue grecque a conquis tous les pays méditerranéens, les juifs établis à Alexandrie éprouvent le besoin d’avoir leurs Écritures saintes dans la langue qu’ils parlent au quotidien. Ils réalisent donc une traduction de la Tora d’abord, puis des autres livres saints, d’hébreu en grec. La légende raconte que cette traduction a été réalisée par 72 savants en 72 jours, d’où son nom de Septante. Les juifs de cette époque ne se sont pas contentés de traduire les livres autrefois écrits en hébreu, ils y ont ajouté d’autres textes religieux plus récents, directement écrits en grec ou en tous cas fortement influencés par la nouvelle culture hellénistique.
La Septante n’est pas une simple traduction, mais elle représente déjà un gros effort de transculturation. En effet, lorsque des expressions ou des images risquent de ne pas être comprises par des gens qui évoluent en milieu hellénistique, la Septante transpose le texte pour le rendre compréhensible. Dans la version grecque du livre d’Esther par exemple, même les noms des personnages de l’histoire sont modifiés afin que l’histoire sonne moins exotique aux oreilles de ses auditeurs.
En utilisant toutes les ressources de la langue grecque, notamment la conjugaison, la Septante accentue dans les textes bibliques l’attente messianique (un envoyé de Dieu qui viendra pour rétablir la justice) et l’attente eschatologique (une intervention magistrale de Dieu à la fin des temps qui met fin à l’empire du mal).
Tout naturellement, les premiers chrétiens ont utilisé ce texte grec de la Bible qui préparait si bien le terrain de leur conviction principale : Jésus de Nazareth est le Messie annoncé par les prophètes et attendu par les juifs. Quasiment toutes les citations de l’Ancien Testament dans les écrits du Nouveau Testament sont réalisées à partir de la Septante. Lorsqu’après les apôtres, les Pères de l’Église ont commenté les Écritures, c’est encore à partir de la Bible grecque et en langue grecque qu’ils ont écrit leurs ouvrages.
Plusieurs ruptures
Un premier changement survient à la fin du 1er siècle. Le judaïsme pharisien réuni à Yavné au nord de la Palestine détermine la liste des livres qu’il considère comme inspirés. En réaction peut-être avec le christianisme qui s’est approprié la Septante, le judaïsme se recentre sur les seuls livres dont il est sûr qu’ils ne sont pas influencés par la culture grecque. Les livres tardifs que la Septante avait intégrés sont donc désormais exclus du corpus de livres saints.
Un deuxième changement intervient en 380, lorsque le pape Damase demande à Jérôme de réaliser une traduction officielle de la Bible en latin pour l’Église d’occident. Jérôme prend son travail très à cœur, il se rend en Palestine pour apprendre l’hébreu et rechercher des manuscrits très fiables. Pour lui, la traduction de la Bible doit se fonder sur les textes originaux, hébreu pour l’Ancien Testament et grec pour le Nouveau.
Ainsi l’Église d’Occident diverge-t-elle des Églises d’Orient qui restent attaché à la version grecque intégrale. Aujourd’hui encore, toutes les traductions de la Bible en milieu orthodoxes sont réalisées à partir de la Bible grecque.
Troisième changement avec l’apparition de la Réforme au 16e siècle. Les réformateurs s’inscrivent dans le renouveau humaniste qui retourne aux sources des Écritures plutôt que de s’en tenir au latin. Luther pour l’Allemagne, Olivétan pour la France et la Suisse, traduisent donc à partir de la bible hébraïque, mais ils traduisent aussi à partir du grec les livres tardifs du judaïsme. Comme ces livres ne sont pas reconnus comme inspirés par les juifs, les réformateurs les regroupent à la fin de l’Ancien Testament sous le noms de « Livres apocryphes », un mot grec qui signifie « caché ».
Lorsque l’Église catholique examine ses propres positions face à l’interpellation de la Réforme, au concile de Trente, elle se penche sur le sort de ces livres et refusant les arguments avancés par les protestants, elle considère quant à elle que ces livres sont tout aussi inspirés que les autres et qu’ils constituent un deuxième canon, grec, à côté de l’ancien canon hébraïque. D’où le nom de « deutérocanoniques » qu’elle donne à cette collection de livres grecs.
Pendant plusieurs siècles, la situation demeurera à l’identique. Les choses changent à nouveau avec l’apparition des Sociétés bibliques au début du 19e siècle. Leur objectif est de diffuser la Bible le plus largement possible. Étant donné que ces livres apparaissent comme secondaires pour les protestants, on considère que de ne pas les intégrer dans la Bible permettra de faire des économies et donc de diffuser davantage de bibles. Cette habitude de ne pas intégrer les livres deutérocanoniques dans les bibles protestantes s’est très largement répandue.
Des différences liées à l’histoire des Églises
En résumé :
- Les Bibles orthodoxes sont traduites à partir de l’Ancien Testament grec. Elles intègrent naturellement les livres apocryphes.
- Les Bibles catholiques sont traduites à partir de l’hébreu (jusqu’au 19e elles se contentaient de partir du latin) et elles intègrent les livres deutérocanoniques.
- Les Bibles protestantes sont traduites à partir de l’hébreu et elles ne comportent en général pas les livres apocryphes.
- Les Bibles juives ne contiennent ni les livres apocryphes, ni le Nouveau Testament.
Depuis les années 70 est intervenu un accord entre le Vatican et les Sociétés bibliques qui travaillent à la diffusion de la Bible dans la plupart des pays du monde avec un souci de servir tous les croyants. On a ainsi défini le concept d’édition interconfessionnelle de la Bible : les livres deutérocanoniques sont présents, mais ils sont regroupés dans une section particulière à la jonction de l’Ancien et du Nouveau Testament. En français la Bible TOB (Traduction Œcuménique de la Bible) a été la première à inaugurer ce principe. Elle a été suivi depuis par d’autres éditions de la Société biblique : la Bible en français courant et la Bible Parole de Vie.
La liste des livres apocryphes : Tobit, Judith, 1 et 2 Maccabées, Sagesse, Ecclésiastique (ou Siracide), Baruc. Les livres d’Esther et de Daniel reçoivent dans la version grecque des suppléments significatifs.