Dans une très belle langue classique, le Livre de Ruth raconte l’histoire d’une famille qui vient s’installer dans le pays de Moab (nom historique d’une région montagneuse de Jordanie qui s’étend le long de la côte est de la mer Morte) pour fuir la famine de celui de Juda. Au fil des ans, le père mais aussi les deux fils qui s’étaient mariés avec des Moabites meurent. La mère, Naomi, décide de rentrer dans son pays et conseille à ses deux belles-filles de rester dans le leur et de refaire leur vie. L’une d’elles, Ruth, refuse d’abandonner sa belle-mère : « Ne me presse pas de t’abandonner, de retourner loin de toi ; car où tu iras, j’irai, où tu passeras la nuit, je la passerai ; ton peuple sera mon peuple et ton dieu, mon dieu » (Ruth 1.16). Naomi rentre donc au pays avec sa belle-fille mais sans descendance pour assurer son avenir, « c’est comblée que j’étais partie, et démunie me fait revenir le Seigneur » (Ruth 1.21). Mais Ruth sauvera sa belle-mère de l’humiliation.
Ruth se sacrifie pour sa belle-mère
Ce récit pourrait être celui, banal, d’une famille israélite, si la protagoniste n’était pas une étrangère et n’était pas devenue l’arrière-grand-mère du très glorieux roi David. Ruth n’est pas n’importe quelle étrangère : elle appartient à une nation qu’Israël a en horreur. Les filles de Moab sont accusées d’avoir tenté de corrompre les Israélites sur la route qui les menait d’Égypte à la Terre promise (Nombres 25.1 et suiv.). Le livre du Deutéronome prescrit que les Ammonites (le royaume d’Ammon est situé au nord du royaume de Moab, le long du Jourdain) et les Moabites n’entreront jamais dans l’assemblée du Seigneur.
Dans l’ancien Israël, la loi du lévirat évitait la disparition d’une lignée familiale : le frère d’un défunt épousait sa veuve et les enfants issus de ce remariage avaient le même statut que ceux du premier. Une veuve sans enfant n’avait pratiquement plus d’existence sociale et était privée des biens de son défunt mari. Ruth accepte de se sacrifier pour sa belle-mère en lui offrant une descendance avec un riche agriculteur, Booz, parent de la famille et donc « racheteur » potentiel. Ainsi naît Obed, le fils de Ruth qui est en fin de compte celui de Naomi.
Un duo de choc
Le duo que forment Naomi et Ruth est au cœur du récit. Il brise le cercle de la mort et de ce sentiment de vide qui les étreint dans les premiers chapitres. Ces deux femmes apparaissent comme des éléments stabilisateurs de la société. Les autres femmes de la communauté sont émues par l’extraordinaire destin de Naomi, elles sont les seules à comprendre que, pour sa belle-mère, Ruth « vaut mieux que sept fils » (Ruth 4.15). Elles ne sont pas aveuglées par les origines moabites de Ruth.
Ruth offre à Naomi sa bonté désintéressée. En la suivant sans aucune garantie quant à son avenir et dans un état d’extrême indigence, en choisissant la condition de veuve vouée au service d’une autre veuve, sans attente de rétribution, elle brise le poids des traditions dans lesquelles on veut les enfermer.
Ruth acquiert le droit d’être intégrée au peuple d’Israël. Ruth et Naomi sont à la recherche d’un consolateur qui ne les étiquette pas « moabite », « pauvre », « fuyarde »… mais porte un regard holistique sur leur personne.
Ce livre navigue à contre-courant de son époque : il affirme qu’une Moabite peut devenir un modèle de fidélité pour Israël. L’amour de Dieu n’évolue pas dans un univers de causes et d’effets, mais dans celui de la liberté. Ruth figure dans la généalogie de Jésus au début de l’Évangile de Matthieu.