L’exil va être dur pour cette femme belle mais stérile, utilisée de façon choquante par son mari. Et pourtant, au bout du chemin, elle deviendra Sarah, femme à part entière, et du coup épouse et mère.
Quand Terah, père d’Abram et de Saraï et grand-père de Loth, quitte Our en Chaldée pour aller avec eux au pays de Canaan, la Genèse n’indique aucune raison précise à ce départ. Mais cet exil volontaire vient juste après le récit de la tour de Babel. Or, ce texte montre à quel point Dieu à horreur de l’uniformité, si contraire à la dynamique de son geste créateur entièrement fait de séparation, de différenciation. Il en a horreur parce qu’elle est mortifère. Dans une énergie de vie, Dieu disperse alors les humains sur toute la terre, s’assurant ainsi que leurs langues et cultures différentes les empêcheront de vouloir à nouveau se regrouper en un seul peuple, allant dans une unique direction, avec un seul projet…
Elle suit son mari
Entre ce récit de Babel et le départ de Terah, une généalogie indique que les ancêtres de Terah se sont sans doute installés à Our sur la durée, y créant un clan, des coutumes et des traditions ancestrales. Le départ de Terah rappelle ainsi l’exigence de séparation créatrice, illustrée par le récit de Babel. Mais ce n’est pas si simple. Terah s’arrête en cours de route, à Harrân. Ce nom évoque étrangement celui de son troisième fils, mort : Harrân. Quand Abram quitte Harrân, le lieu du père, en emmenant avec lui son épouse et demi-sœur Saraï et son neveu Loth, c’est très clairement sous l’impulsion de Dieu. Yahvé l’invite à ne pas rester figé sur le lieu de la tombe de son père (et au nom si proche de son frère décédé). Il l’appelle à reprendre le chemin vers Canaan. Abram obéit volontiers… Sans consulter son épouse ! Mais les rencontres et expériences qu’ils vont faire, tous les deux, en terre étrangère, seront déterminantes.
Elle part vers son rire
L’exil géographique entraîne un mouvement à l’intérieur des deux époux. C’est Marie Balmary qui a mis le doigt sur l’importance fondamentale du changement de nom de Saraï et d’Abram. La situation de départ est enchevêtrée. Saraï signifie « princesse de moi » et Abram, « père haut ». Ils sont demi-frère et sœur par leur père, Terah. Par son prénom, « ma princesse », Saraï est comme attachée à son père, « celui qui l’a nommée sans lui laisser de place ». Le mariage ne la délivre pas : son père est aussi son beau-père, père et beau-père de son mari. Saraï est ainsi « quatre fois liée à celui qui l’appelée sienne » ! Comment dans ce cas-là devenir épouse et mère ? La stérilité de Saraï apparaît comme sa seule façon de résister, en étant différente de ce que tout le monde attend d’elle. « C’est comme si elle commençait d’exister en se mettant en grève ». Toute l’histoire de Saraï, donnée en mariage par deux fois au Pharaon (mariage consommé) puis à Abimélek (Dieu l’empêchera), est celle d’une femme qui n’arrive pas à échapper au destin inscrit dans son nom (et dans celui de son époux). Jusqu’au moment où Dieu (YHWH) fait alliance avec Abram, ajoutant aux noms des deux époux le « H » pris de son nom (imprononçable) et signe de sa présence libératrice. Dieu est l’Autre qui, comme à Babel, intervient pour séparer, différencier et donc donner vie. AbraHam devient « père d’une multitude ». SaraH devient « princesse » : pour elle-même. Elle n’appartient plus à personne. Abraham et Sarah peuvent accéder à une relation de couple en vis à vis. Alors Sarah apprend qu’elle sera mère, grâce à Dieu. Ce qui la fait rire, enfin !
Par Doris Ziegler, Journal Échanges