Considéré comme le jugement des nations, le discours de Jésus sur la fin des temps intrigue par la brutalité de sa sentence. Il sépare radicalement ceux qui ont répondu aux besoins de la société et ceux qui ne l’ont pas fait : « J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger… »

Actualiser les besoins humains

Il importe sans doute de ne pas relativiser ces propos, mais de les élargir à notre monde moderne. À l’époque, les misères du monde citées par Matthieu s’appelaient faim, soif, pauvreté, étrangeté, maladie ou prison. Ces maux représentent les différents types d’atteintes à l’être humain, qu’il s’agisse du domaine physique par la nourriture, de la spiritualité avec le symbole de l’eau, de la sphère relationnelle avec la nudité ou la prison, notamment.

Aujourd’hui ces besoins fondamentaux demeurent, mais nos sociétés ont pris conscience d’autres maux qui rongent la vie des individus, par exemple les détresses spirituelles liées à la recherche de sens, la souffrance psychique liée à la solitude ou des formes de violence devenues inacceptables.

Pour une rencontre vraie

Répondre à ces besoins d’aujourd’hui est sans doute une mission de l’Église dans le champ diaconal. Mais le texte suggère que cela touche la vocation même de l’Église, sa raison d’être. Car c’est la notion de frontière qui est visée, entre l’Église de la Parole et le monde environnant ; il s’agit de se rendre compte de l’impact de l’Église dans ses relations avec l’extérieur, cette société qui n’est pas forcément au cœur de la foi chrétienne. La première question à se poser est alors de regarder quels sont les personnes rencontrées. Même les Justes, dans l’Évangile, ne savent pas quand ils ont rencontré Jésus à travers les demandes d’aide qui leur ont été faites. L’Église est ainsi incitée à ne pas évaluer, ne pas juger des besoins du monde qui lui paraissent extérieurs pour savoir ceux qui sont vrais ou non, légitimes ou pas. La rencontre des personnes en marge de l’Église instituée que Dieu met sur son chemin se doit d’être une rencontre et non une aumône.

Le soutien en vérité

La seconde question posée aux chrétiens contemporains est de veiller à leur Parole comme à un trésor. L’Église adopte-t-elle une position de maîtrise ou de soutien ? Une adaptation est alors nécessaire pour dialoguer avec la société. Lorsqu’une personne est en recherche de sens, lui apporter le secours du patois de Canaan serait certainement contre-productif d’un point de vue de l’efficacité. Ce serait également une insulte quand la personne s’en trouverait diminuée dans son image d’elle-même. Ce serait enfin une façon de se débarrasser de la demande d’un humain en souffrance, en le coupant de toute considération d’humanité véritable. Cela équivaudrait finalement à le couper arbitrairement de son espérance. Et c’est bien de cela dont parle Jésus : le disciple ne doit séparer personne de son espérance.

Affûter sa vision

À ce titre, l’Église et le chrétien sont appelés à travailler constamment sur leur rapport au monde, afin d’adapter les langages et les actions à la réalité humaine. Au regard du Royaume, le plus grand ennemi de l’humain pourrait bien être l’Humain, lorsqu’il oublie ce qui fonde son humanité et transforme les rencontres en dossiers ou en simples contacts. Pour rencontrer, il faut regarder ; tout passe dans le regard. La personne côtoyée sans que les regards se croisent restera à jamais un cas, une étiquette. Dans le regard, se lisent la présence de Dieu et l’espérance de la personne.