En tant que thérapeute, nombre des personnes que j’accompagne me confient qu’elles ont du mal à lâcher-prise. Sous ce terme un peu magique – une sorte de Graal – elles pointent deux réalités essentielles pour elles : réussir à se détendre totalement et/ou se laisser aller. Ces deux notions évoquent un relâchement physique vers un état de bien-être complet – aussi intellectuel, psychologique qu’émotionnel. Ce lâcher-prise est souvent recherché, pour ne pas dire espéré, dans des situations de la vie de tous les jours (soirée, week-ends, vacances) ou bien dans l’intimité, voire la sexualité. Or, on ne « commande » pas au corps de s’accorder du repos.
Si l’on creuse un peu ces notions, on s’aperçoit que les blocages sont de deux ordres :
– l’assimilation du lâcher-prise à du laisser-aller. Cette dernière idée est insupportable pour les hyperactifs, exigeants ou perfectionnistes qui estiment qu’il y a toujours quelque chose de mieux à faire. Difficile aussi pour ceux qui sont dans la retenue, le contrôle permanent ou le souci du regard de l’autre. Ils ont du lâcher-prise une connotation négative, et malgré tout, se l’interdisent plus ou moins inconsciemment.
– le maintien d’un niveau de cogitation mentale assez élevé, qui s’oppose à une prise de distance sur les choses ou les événements. Lâcher un sujet signifierait abandonner, laisser tomber. Il est alors synonyme de désintérêt, de manque de responsabilité ou de courage.
Pour les uns comme pour les autres, on peut conseiller un petit parcours de reconquête du lâcher-prise en trois étapes :
1) Positiver le repos
Se reposer n’est pas un signe de faiblesse. La récupération est indispensable à l’équilibre du corps, qui a d’ailleurs une fonction pour cela, le sommeil. Le corps dans sa globalité, a besoin de passer en mode veille pour reconstituer son énergie. C’est d’ailleurs la seule condition pour qu’il puisse continuer à fonctionner correctement. Se reposer est une activité, garante de notre vitalité. Elle entretient notre bonne forme physique, mentale et émotionnelle, condition indispensable à notre efficacité, notre bien-être et notre réussite. D’autant que, la plupart du temps, le repos est bien mérité après un effort louable.
Le septième jour, Dieu avait achevé tout le travail qu’il avait fait ; le septième jour, il se reposa de tout le travail qu’il avait fait. (Genèse 2 :2)
2) Prendre conscience
Il y a lieu de réaliser que la rumination mentale sur des sujets tout aussi importants qu’ils soient est souvent vaine, inopérante et épuisante. Ressasser une dispute la fait-elle avancer ? Anticiper anxieusement un événement en prédit il l’issue ?
Pour progresser de ce côté, il faut séparer les événements sur lesquels nous avons la maîtrise, de ceux que nous ne pouvons contrôler.
Ainsi, je ne peux à l’évidence ni contrôler, ni agir sur :
– la santé, la maladie, la mort,
– le passé,
– les autres : ce qu’ils pensent, disent, décident …
– la météo, les événements dans le monde (accidents, guerres…), l’état de la planète…
Mais j’ai la maîtrise :
– de mes actes, de mes pensées, de mes paroles,
– de ma compréhension des choses, de mes décisions, de mes choix,
– de la gestion de mes émotions,
– de mon comportement, de mon évolution,
– du choix de mes amis et des personnes qui partagent ma vie…
Le lâcher-prise consiste alors à lâcher ce sur quoi on n’a pas de prise (le premier groupe de situations ou événements). Cela nécessite parfois un véritable bras de fer mental avec soi-même ! Il faut souvent arbitrer pour trouver le juste équilibre entre ce que je peux maîtriser, et la limite que je ne pourrai pas dépasser pour influer sur les cours des choses ou des événements incontrôlables. Parfois j’ai ma part, parfois pas totalement, d’autre fois pas du tout. Le principe de réalité tempère dès lors notre envie de toute puissance.
3 ) Commencer par de petites expériences
Rome ne s’est pas faite en un jour ! On ne passe pas instantanément d’un tempérament contrôlant à une nature distanciée. Pour ne pas braquer le mental (toujours prompt à exercer son esprit critique sur toutes forme de changement qui présente une menace pour ce qu’il croit être son équilibre), il faut s’exercer progressivement et consciemment, sur des situations simples :
– le soir, dans son lit, éviter de repasser au peigne fin les événements de la journée,
– stopper les dialogues intérieurs quand ils apparaissent (cette tendance à « refaire le match » en égrenant les répliques idéales que l’on aurait dû prononcer),
– limiter les scénarios catastrophes, et l’élaboration systématique de plans B, C ou D…
– arrêter le « marmonnage mental » (la manie de commenter ou se critiquer dans notre tête)…
Si cela est trop difficile de manière consciente, il est possible de détourner le mental pour le focaliser sur d’autres points d’intérêt. Le médecin Roger Vittoz, inventeur des actes conscients au début du vingtième siècle, avait observé que tout ce qui nous met en connection avec nos sens a tendance à débrancher le mental : boire en conscience, déguster, marcher dans la forêt en appréciant le paysage, écouter de la musique, pratiquer une activité qui nous absorbe (dessiner, lire, bricoler, jardiner)… On peut aussi s’adonner à l’un de ces petits grains de sel qui aident à savourer le quotidien (à relire : le sel de l’hiver). Multiplier ces petites expériences crée de nouvelles habitudes atteignables et acceptables, et amène un changement de comportement progressif et doux . Le lâcher-prise, c’est une conquête à petits pas !