Parler d’intelligence émotionnelle ne date pas d’hier. Pourtant, on a parfois l’impression que certaines personnes en sont totalement dépourvues. Soit, elles donnent l’apparence de ne connaître aucun affect, soit elles débordent d’effusions démonstratives. Difficile à vivre pour ceux qui les côtoient, quand nous-mêmes nous tentons tant bien que mal de faire face aux émotions et sentiments qui nous submergent.

Issue de la psychologie positive, l’intelligence émotionnelle intéresse les chercheurs, dont le psychologue franco-américain Claude Steiner, dès les années 1960. Mais c’est à Daniel Goleman, un autre psychologue américain, que l’on doit de l’avoir théorisée de manière structurée et accessible dans les années 1990, en se basant sur les travaux de John Mayer et Peter Salovey, deux de ses compatriotes chercheurs.

On peut définir l’intelligence émotionnelle comme une approche globale de notre rapport à notre environnement et nos relations, en tenant compte des émotions suscitées chez les uns et les autres.

Elle suppose d’être attentif à quatre aspects :

  • la prise de conscience de ses propres émotions,
  • la faculté à les maîtriser pour ne pas en subir les effets désagréables,
  • la possibilité de les exprimer de manière adéquate,
  • la capacité à identifier et comprendre les émotions des autres.

Il ne s’agit aucunement de nier ou de contenir les émotions – ce serait pire que tout, mais de repérer leur fonctionnement pour en tirer le meilleur. Car, si une émotion a toujours un message pour nous, ses effets peuvent perturber notre vision des choses, et notre comportement, créant des biais et des distorsions.

Que ce soit dans le travail, à l’école ou dans la vie de famille, laisser les émotions diriger nos choix est une stratégie hasardeuse qui peut nous amener à prendre de mauvaises décisions, à agir de manière déplacée, ou a prononcer des paroles que l’on regrette. Sans compter la fatigue physique et intellectuelle que cela suscite. Une trop grosse charge émotionnelle, mal gérée, installe des tensions (mâchoire, muscles du dos…) et des maux divers (tachycardie, maux de ventre…). Elle entretient aussi des pensées incessantes, et augmente la charge mentale.

Pour interagir avec notre « milieu », nous disposons depuis des millions d’années d’une palette assez serrée, pilotée au cœur de notre cerveau par le système limbique, et constituée de cinq émotions de base, avec toutefois leurs nuances et mélanges : peur, colère, tristesse, dégoût et joie. Quelle poisse pensez-vous peut-être ! Une seule émotion positive pour quatre négatives ? Non point. Toutes sont positives, puisqu’elles servent avant tout à nous protéger et à maintenir notre place dans le groupe – la garantie « sociale » de notre survie. Cependant, certaines sont agréables, et d’autres désagréables à vivre – pour nous et pour les autres.

Pour faire face intelligemment aux situations qui font naître l’une de ces émotions, une stratégie en cinq étapes s’avère nécessaire :

1 – Pas de réaction à chaud

Le dicton populaire vous l’affirme : « La peur est mauvaise conseillère ». Elle n’est pas la seule ! L’émotion est le traitement de l’événement à chaud, la raison sa gestion à froid. Il y a donc urgence à attendre, même si ça nous démange d’exploser ou de tourner les talons.

2 – Comprendre le message de l’émotion

Si je me suis mis en colère, ou si une anxiété grandit en moi, il est prioritaire de comprendre pourquoi cette alerte s’est déclenchée. Qu’ai-je à comprendre ? Qu’est-ce qui m’a gêné, blessé, atteint ?

3 – Identifier le besoin altéré

L’un de mes besoins de base se trouve menacé par le comportement de l’autre, ou la situation (souvent inattendue) à laquelle je suis confronté. En quoi cela affecte ce que je considère constituer mon équilibre ? A ce titre, la communication non-violente (CNV), élaborée par Marshall Rosenberg, propose notamment de mettre en place une communication interpersonnelle qui respecte les besoins des uns et des autres.

4 – Ôter les filtres cognitifs

Le cerveau sature car il cherche des explications, et a tendance à analyser la situation de manière biaisée, et en puisant dans des expériences passées, ce qui produit une kyrielle d’interprétations, exagérations, anticipations…toutes formes de ruminations qui accentuent la tension émotionnelle. On est au bord de l’explosion ! Verbaliser ou se confier à un proche ou un professionnel facilite le retour à une réalité objective.

5 – Faire baisser les effets des émotions

Pour retrouver de la clarté d’esprit, du discernement sans exagération, il faut faire baisser les manifestations émotionnelles. Beaucoup de techniques peuvent être utilisées, au plus près de l’événement : respiration, relaxation, sophrologie, méditation, yoga… Non seulement elles aident à temporiser, mais elles facilitent le retour à l’équilibre, condition préalable à tout passage à l’action réfléchi.

Une telle stratégie ne s’acquière pas en quelques jours. Elle s’améliore bien évidemment avec une conscience de soi et de son fonctionnement, d’une manière de plus en plus fine. Cette stratégie peut  être valable pour soi-même, mais peut aussi s’appliquer aux autres – en soutien d’un proche ou d’un collègue qui se sent dépassé, par exemple.

Pour aller plus loin :

  • António Damásio, L’Erreur de Descartes : la raison des émotions, Odile Jacob, 1995
  • Isabelle Filliozat, Cahier de travaux pratiques pour apprendre à gérer ses émotions, Marabout poche, 2010
  • Daniel Goleman, L’Intelligence émotionnelle : Comment transformer ses émotions en intelligence, R. Laffont, 1997
  • Lucie Quillet, Je développe mon intelligence émotionnelle, Editions Leduc, 2021
  • Marshall Rosenberg, Les mots sont des fenêtres, La Découverte, 2005
  • Régis Rossi (Auteur), Claire Lauzol (Auteur), Didier Noyé (Auteur), Les pouvoirs de l’intelligence émotionnelle: connaître et utiliser les méthodes qui marchent , Editions Leduc, 2020
  • Claude Steiner, L’A.B.C. des émotions – Comment développer son intelligence émotionnelle, InterEditions, 2019