Dans son film Les Enfants des autres, Rebecca Zlotowski réalise son cinquième long-métrage, qui déroule un récit en partie autobiographique. L’héroïne, Rachel, quadragénaire nullipare, est questionnée dans sa féminité et sa maternité. Elle tombe amoureuse d’Ali, déjà père de Leïla qui a 4 ans. Pourra-t-elle devenir enceinte ? Jusqu’où aller dans sa relation avec Leïla ? Habituellement, la figure de la belle-mère est connue pour être synonyme d’intrigues et de tourments. Zlotowski nous propose plutôt une réflexion critique sur le sens de la parentalité, et une figure positive de la belle-mère.
La figure de Sarah, dans le cycle d’Abraham (Gn 12-25), nous invite, elle aussi, à repenser le réel de la vie de belle-mère, en vue d’une éthique humaine, d’une sorte de « sagesse laïque » : réfléchir au bien-fondé de ses choix, sans juger ni dramatiser. La vie de Sarah y est racontée comme faite de hauts et de bas, de fautes et d’obéissance, de désespoir et d’espérance. Mais dans ce réel, son Dieu n’est jamais loin, toujours prêt à la pardonner et à la rejoindre dans chaque situation. Ce pardon est originel et inconditionnel, puisque son Dieu sait (et donc pardonne) déjà tout, avant même toute repentance ou tout remords de sa part. Et ce pardon redonne sans cesse à Sarah (et à Abraham) le courage de changer de regard quand celui-ci devient mauvais (« Dieu dit : « Que cela ne soit pas mauvais à tes yeux. » », Gn 21,11-12). Sarah s’exclame en disant : « Ceux qui entendront mon histoire riront de moi ! » (21,6), pour essayer de justifier l’identité (le nom) de son fils Isaac (Yits’aq en hébreu signifie « il rit »). Mais voilà que c’est l’enfant de l’autre qui rit au moment du sevrage d’Isaac, lorsque ce dernier est émancipé de l’identité de sa mère. Or Sarah espère qu’Isaac, l’enfant sorti de ses entrailles, soit l’unique héritier de la promesse divine : est-elle prête à adopter l’enfant de l’autre ? L’étranger va-t-il hériter de la promesse faite à l’enfant légitime ?
À Noël, nous commémorons la naissance de Jésus. L’incarnation du Christ, comme sa mort, est un signifiant du manque en Dieu. Adopter cette altérité, cet enfant d’un autre pour Joseph, nécessite un courage, qui vient de l’adoption par Dieu de l’altérité humaine pécheresse en Christ. En lui, l’étranger que je suis hérite de la promesse destinée initialement à l’unique enfant légitime de ce Dieu-là.
Ainsi, j’accueille l’Autre (mon prochain, mon propre corps, la voix de l’Esprit qui me parle du fond de moi-même à travers ma tradition, mon éducation, ma Bible, mon maître, etc.), parce que Dieu m’a accueilli le premier. J’accepte ses limites, le manque en Lui, parce qu’il me rejoint dans mes limites, afin de me donner le courage de les assumer. Cela signifie sur le plan pratique que je lâche prise, car une vie de mortel assumée est plus apaisante qu’une vie d’immortel stressante. J’adopte l’esprit d’enfance, en étant libéré de l’infantilisme. Je fais « un pas de côté », le temps de faire une halte, de reprendre Souffle, de prendre du recul par rapport au temps sans fin de ce monde, afin de mieux m’y incarner, comme l’éternité du temps favorable de l’Esprit s’y incarne, sans jamais s’y noyer.
Celui ou celle qui accueille cette Altérité fondatrice pourra vivre, sagement comme Sarah et/ou Abraham, une éthique humble, marquée par la finitude, à l’écoute empathique les uns des autres, puisque Dieu dit à Abraham : « Écoute ce que te dit Sarah ! ».