Les téléphones portables occupent une place centrale dans la vie des jeunes. Pourtant, leur utilisation devient de plus en plus problématique, et met désormais en péril leur santé mentale, physique et leur sécurité. Comment les parents peuvent-ils agir ?
En France, 80% des jeunes de 14 ans possèdent un téléphone portable, un chiffre qui atteint 95% chez les 15-29 ans. Penchés sur leurs écrans, les adolescents semblent perpétuellement absorbés, pour ne pas dire envoutés par les posts, vidéos et jeux qui défilent en permanence sous leurs yeux, à mesure qu’ils scrollent. Le téléphone portable est LE cadeau dont rêve tout adolescent – et même désormais tout enfant dès son plus jeune âge. Les parents y cèdent volontiers, souvent à l’entrée au collège, y voyant un moyen facile de garder le contact en leur absence. Mais sommes-nous réellement conscients des dangers que nous sommes en train de favoriser en laissant des enfants s’isoler dans ce face-à-face dont le contenu échappe le plus souvent aux parents ?
Une attention prise en otage
La critique de l’usage des écrans chez les jeunes n’est pas nouvelle. Dès leur apparition, ils ont été accusés de causer des dommages sur l’attention et la concentration, et de détourner les jeunes utilisateurs de leurs activités et jeux habituels.
Les smartphones, avec leurs notifications incessantes et l’accès permanent aux réseaux sociaux, captent continuellement l’attention des adolescents. La capacité de concentration moyenne d’un collégien serait de 10 à 15 minutes. Il semblerait qu’elle soit descendue ces dernières années à quelques minutes à peine. Un effet qui se traduit immédiatement dans de grandes difficultés à lire des livres – une tâche pour certains impossible au-delà de trois pages, avec des effets notables sur le vocabulaire, qui s’appauvrit. On ne parle même pas des conséquences sur l’orthographe !
Les interruptions fréquentes dues aux messages ou aux alertes créent des distractions permanentes qui perturbent le flux cognitif, rendant difficile l’accomplissement de tâches nécessitant une attention soutenue. Faire ses devoirs relève de plus en plus de la course de fond, pour laquelle l’ado va rapidement jeter l’éponge. Car l’exposition prolongée aux écrans peut provoquer une fatigue mentale, réduisant ainsi l’efficacité des études et autres activités intellectuelles.
Le format court et intense des contenus proposés par les réseaux sociaux, les applications et les jeux influent sur la sécrétion de dopamine et installe une dépendance aux téléphones et un besoin impérieux de consommer du temps d’écran de plus en plus long, ce qui a aussi des répercussions sur le sommeil. Une enquête menée au Canada montre que 75% des ados dorment avec leur téléphone.
Une exposition à des contenus dangereux
Dans son documentaire réalisé pour France 5, la réalisatrice Elisa Jadot s’est crée un personnage d’ado de 13 ans. Sans partager la moindre information trop personnelle sur elle, elle va rapidement se trouver confrontée à des contenus non sollicités, mais aux messages de plus en plus dangereux : incitation au suicide, aux comportements anorexiques ou aux scarifications… Elle est rapidement contactée via les messageries d’Instagram, Snapchat ou TikTok, par des hommes – qui se font passer pour des garçons de son âge ou non – qui lui envoient des photos plus qu’explicites. Et avec la logique de l’algorithme, plus elle est en contact avec ce type de contenus, et plus elle en reçoit…
En France, plus de 82% des mineurs ont déjà été exposé à des contenus pornographiques – les deux tiers dès le collège – essentiellement via leur téléphone portable.
Le documentaire est terrifiant et présente également le procès mené par plusieurs familles dont les enfants ont mis fin à leurs jours, contre Meta, TikTok, X, Snapchat et Discord.
Jonathan Haidt, quant à lui, est professeur à l’université de New York et psychologue, et l’auteur de « Génération anxieuse », un ouvrage qui interroge sur le lien entre la montée de l’utilisation des téléphones et des réseaux sociaux par les jeunes et la détérioration de leur santé mentale. Il constate qu’aux Etats-Unis, les cas de dépression, troubles anxieux et décès par suicide augmentent significativement depuis 2010/2012, un phénomène également observé en France plus récemment, notamment à travers la dégradation de la santé mentale des filles.
Du cyberharcèlement à la cyberpédocriminalité
Les réseaux sociaux et leurs messageries sont des vecteurs facilement accessibles pour le cyberharcèlement, et en toute impunité. Que ce soit dans des groupes privés ou via une messagerie directe, il est d’autant plus aisé de dénigrer ou de menacer quelqu’un que l’anonymat est garanti. Les adolescents, souvent trop insouciants, mal informés, naïfs et en quête d’amitié et de reconnaissance, peuvent être facilement manipulés par des prédateurs en ligne. En croyant rejoindre une communauté, se faire des amis ou de nouvelles expériences loin du regard de leurs géniteurs, ils deviennent les proies de menaces ou de chantages à caractère sexuel. Et tout cela dans le silence d’une chambre. Un harcèlement vécu par sa jeune victime dans la culpabilité, la honte, et parfois avec des conséquences fatales, comme seule issue pour s’en sortir.
Des recommandations pour les parents
Quel parent exposerait son enfant aux sollicitations d’inconnus ? C’est pourtant ce qui se passe couramment quand on laisse un adolescent seul face aux écrans, et sans un minimum de précautions.
Alors, comment faire pour limiter les risques ?
– La première chose est de décider de l’âge raisonnable auquel un enfant peut détenir un smartphone. C’est un sujet de conflit, mais il faudrait idéalement reculer cette possession le plus tard possible. Certains pays, comme l’Australie, font le choix d’interdire l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 16 ans. En France, les conditions du contrôle de l’accès aux sites pornographiques pour les mineurs viennent d’être renforcées.
– Etablir des règles claires sur l’usage du portable, en fonction de l’âge et du degré d’autonomie du jeunes : plages horaires, durée, lieu (jamais dans la chambre, par exemple)…
– Informer le jeune et s’assurer d’habitudes de prévention simples : ne jamais communiquer son nom, son adresse, le nom de son école, ne pas communiquer de photos…
– Installer des applications de contrôle parental, ou paramétrer une limitation de temps d’écran ou des filtres d’accès aux réseaux sociaux.
– Maintenir un dialogue ouvert avec ses enfants. Tous les sujets devraient pouvoir être évoqués en famille, sans crainte de jugements, ni tabous, mais avec un vocabulaire approprié. Plus un enfant sait qu’un sujet qu’il juge délicat peut être abordé avec ses parents – ou un adulte de confiance, plus il aura facilité à se confier s’il rencontre un problème. Il est bon d’évoquer un « droit à l’erreur » quand il s’est passé quelque chose. On n’hésite pas non plus à poser des questions si l’on sent que le jeune se renferme, s’isole ou paraît plus triste ou inquiet, en instaurant un dialogue clair et rassurant.
– Encourager des activités sans écran et à l’extérieur : jeux avec les copains, sport ou sorties en famille peuvent aider les adolescents à développer d’autres centres d’intérêt et à renforcer les liens sociaux bien réels plutôt que virtuels, tout en prenant leur autonomie.
– Rester informé. Les prédateurs rivalisent d’imagination pour contourner les dispositifs existants. Tenez vous informé de ce qui se passe sur des sites officiels fiables.
Le téléphone portable reste un outil aux multiples avantages, mais son utilisation chez les adolescents doit être impérativement être encadrée pour prévenir des dérives potentielles. Une vigilance parentale active, combinée à une éducation aux usages responsables du numérique, contribuera à protéger les jeunes des dangers liés à une utilisation excessive ou inappropriée de ces technologies.
Pour aller plus loin :
– Emprise numérique, 5 femmes contres les Big 5, documentaire France 5
– Article de l’Express : Santé mentale des jeunes, les smartphones sont-ils coupables ?
– 3118 : numéro pour la lutte contre le cyberharcèlement
– Je protège mon enfant : la plateforme d’information et d’accompagnement à la parentalité numérique
– Interpol : Assurer la sécurité des enfants sur internet
– Internet, comment accompagner et protéger votre enfant, un guide pour les parents
– Internet, les écrans et nous, un guide pour les 7-12 ans
– Dans la tête de Juliette, une BD qui plonge dans le tourbillon numérique (pour les pré-ado et adolescents)