Là, quelqu’un froisse du papier, ici un homme susurre d’une voix douce, se frotte lentement les mains ou bien exécute un geste répétitif scandé de petits bruits, ou bien encore c’est une femme qui énonce dans un murmure des syllabes répétitives qui n’ont aucun sens. Si vous êtes tombé par hasard sur ce genre de film sur YouTube, sachez que, malgré l’apparence étrange de ces images en plan fixe, vous visionnez ce qui constitue désormais une tendance lourde de la vidéo sur le net : l’ASMR.

Cet acronyme se réfère à l’Autonomous Sensory Meridian Response ou réponse sensorielle autonome culminante, un phénomène corporel qui mélange frisson, chair de poule, picotements du cuir chevelu ou fourmillements le long de la colonne vertébrale… Une sensation étonnante, aussi délicieuse qu’apaisante. D’ailleurs, vous l’avez certainement déjà éprouvée, lorsque le coiffeur vous fait un shampooing très agréable et relaxant.

Les vidéos dont il est question proposent donc de déclencher cette réponse automatique pour provoquer ces ressentis agréables, par l’écoute de stimuli auditifs appelés tiggers.

Né au Etats-Unis il y a 10 ans, l’ASMR a conquis toute l’Europe, avec désormais des « influenceurs » bien repérés – comme l’américaine Maria qui a plus de deux millions d’abonnés – et qui animent des communautés subjuguées.

L’ASMR est désormais élevée au rang d’art sonore (et parfois visuel), avec des pratiques codifiées, et des ASMRtistes (c’est le terme usité) qui n’ont rien à envier aux plus grands musiciens, en recourant à une palette de sons tous plus inventifs les uns que les autres.

Attention, anglicismes !

Le taping est cette manière de tapoter un objet du bout des doigts ou des ongles, le scratching consiste à gratter une surface irrégulière (grille, peigne…), le brushing s’attache à frotter un pinceau ou une brosse sur le micro, ou la main, sans oublier le whisperring (la base !) qui désigne le chuchotement avec lequel l’artiste s’adresse à ses auditeurs, créant une proximité et une intimité relaxantes. Les idées ne manquent pas, et tout objet peut devenir un « instrument » ASMR : baguette, flacon, clavier d’ordinateur, papier-bulle, souris, brosse à cheveux, tournevis, magazine, ciseaux…

Pour découvrir une petite gamme de déclencheurs ASMR, je vous suggère d’écouter cette vidéo de Lucie, alias Serena (près de 270 000 abonnés), qui offre un festival de sons à partir d’objets dignes d’un inventaire à la Prévert : tapotements d’ongles, frottements de mains ou de paillettes, d’éponges, d’emballage en plastique… Vous noterez que la qualité, la clarté et le relief du son créent une intimité, qui peut d’ailleurs être amplifiée par une écoute avec un casque.

Génie ou arnaque ?

Mais à quoi sert-elle vraiment ? L’ASMR s’adresse à ceux qui ont du mal à dormir – et plus particulièrement à s’endormir, ainsi qu’à tous ceux qui sont stressés. Son objectif principal est d’aider à se relaxer. En cela, elle a des vertus comparables à l’hypnose, par l’utilisation d’un son ou d’une parole sur un ton bas, doux, lent, répété à l’identique, une action dont on sait qu’elle aide le cerveau à fonctionner en ondes alpha – au bord même du sommeil. Elle est toutefois plus accessible pour plonger dans une bulle de bien-être.

Toutefois, les effets sont très variables d’une personne à l’autre, car tout le monde n’y est pas sensible, en raison en particulier d’une plus ou moins grande capacité à la suggestion. Certains encensent ces vidéos, dont ils ne peuvent plus se passer et auxquelles ils prêtent mille vertus, d’autres trouvent ces bruits juste agaçants, voire insupportables – particulièrement tous les bruits de bouche, comme la mastication.
Il n’existe que quelques études très limitées sur l’ASMR, ainsi que le recense le magazine Psychologies.

Les seules preuves tangibles se basent sur les témoignages des adeptes de cette technique – parfois qualifiée de fétichisme, voire d’orgasme sonore – mais qui semble toutefois présenter peu de contre-indications. La communauté ASMR est plutôt dans l’empathie et la bienveillance, à la recherche d’un mieux-être accessible, ce qui, au final ne peut pas faire de mal. Aux Etats-Unis, certains vétérans atteint du syndrome de stress post-traumatique ont vu leur qualité de vie grandement améliorée par l’écoute de ces enregistrements.

Si le visionnage de ces séquences reste déroutant, leur écoute est à tester pour identifier les sons auxquels on est le plus sensible. Je vous propose de découvrir quelques stars de la discipline, dont certains ont parfaitement intégré les réflexes des Youtubeurs, avec des placements de produits… Florian, anime Paris ASMR, Dolce Romy, Kali ASMR, Roxane ASMR

Plus étonnant, des marques surfent désormais sur ce phénomène dans leurs publicités, comme Ikea, Buffalo Grill, ou Renault. Une mode qui pourrait bien s’inscrire comme une tendance lourde en matière de communication.