Episode 2 de notre série d’été consacrée à l’écriture thérapeutique, nous abordons cette semaine une technique pour alléger le sentiment de vengeance.
La vengeance est un sentiment éminemment humain, qui alimente depuis l’Antiquité les mythes olympiens, les sagas dramatiques, les épopées romanesques ou les malédictions familiales.
Si le dicton populaire prétend que la vengeance se dégustera tôt ou tard – même froide, on doit à Lady Diana, épouse bafouée, d’avoir porté dans les années 1990 une « revenge dress », une robe qui la mettait tellement en beauté que son époux infidèle s’en voyait à son tour humilié aux yeux du monde entier. Ce classique a depuis fait des émules parmi les stars hollywoodiennes qui en ont fait une pièce de la garde-robe de toute femme qui veut faire regretter à son compagnon une trahison amèrement subie. Mais, nous nous égarons…
La vengeance, une émotion paradoxale
Dans la palette des émotions, la vengeance mêle subtilement la colère, celle bien légitime que l’on ressent quand on a été traité injustement, et la joie, qui anticipe le plaisir que l’on éprouvera quand l’autre subira ce qu’il nous a fait vivre. Le fol espoir de celui qui (se) jure de se venger, est de ressentir un bien-être intense lorsqu’il constatera la défaite de celui ou celle qui l’a fait souffrir. Défaite souvent envisagée sur un mode punitif, terrible, à la hauteur de l’atteinte qu’il a vécue. L’idée même de la vengeance aurait des vertus expiatoires.
L’expérience montre que la vengeance apporte peu d’apaisement. D’abord parce que, aussi longtemps qu’elle ne s’est pas exercée, celui qui la poursuit vit dans une tension permanente vers ce but délétère. Ses pensées sont focalisées sur son objectif, au point qu’il en oublie sa propre vie, dont la vengeance devient l’unique boussole. Ensuite, parce qu’une fois la vengeance exécutée, on se trouve face à deux (voire plusieurs) personnes qui souffrent toujours, sans que le tort originel n’ait été réparé, ni même reconnu.
Bien me direz vous, mais il serait quand même trop facile de pardonner en tirant un trait résigné sur la trahison, la souffrance ou l’injustice ? Et pourquoi ne pas tendre l’autre joue, pendant qu’on y est ? Ce serait un signe de faiblesse, ou de justification du traumatisme vécu. On pourrait écrire des tomes entiers sur le pardon – comment le mettre en œuvre, comment l’accepter – sans pour autant résoudre la question de la vengeance. On oublie qu’il comporte un aspect de « don » : rendre à l’autre le poids de ce qu’il nous a obligé à porter. Pardonner serait donc une manière d’alléger la souffrance, mais certainement pas la seule.
Un proverbe indien prétend que « La vengeance est un poison qu’on s’inocule à soi-même ». Il nous envahit progressivement jusqu’à nous détruire – ou au moins jusqu’à atteindre notre intégrité, voire notre humanité. La victime qui devient bourreau à son tour est-elle plus légitime ? Et la justice n’est-elle pas là, justement, pour éviter les vengeances auto-dirigées ou disproportionnées ?
L’alternative de la lettre vengeresse
Pour éviter des ressentiments éternels ou autres projets sordides, penchons-nous sur les possibilités de la « revenge letter ».
Cette « lettre pour se venger » est un exercice d’écriture thérapeutique à visée cathartique, pour décharger le poids d’émotions fortement ressenties (colère, frustration, humiliation, trahison…) envers une personne ou une situation passée, sans pour autant porter préjudice à qui que ce soit.
Son objectif est symbolique, pour permettre une libération psychique et faciliter une prise de recul et une mise à distance émotionnelle.
Vous allez donc écrire une lettre qui ne sera jamais envoyée.
Installez-vous dans un endroit calme où vous pouvez rester au moins une demi-heure à une heure, sans être dérangé. Munissez-vous d’une feuille et d’un stylo, et commencez votre lettre en vous adressant directement à la personne la plus directement concernée. Vous utilisez son prénom, et le « tu » (ou « vous ») aussi souvent que nécessaire.
Couchez sur le papier les faits, y compris ceux qui sont niés par son auteur.
Rétablissez votre vérité en toutes lettres. Ecrivez votre version des faits. Exprimez votre position de victime, en particulier la dureté des sentiments qui vous traversent, la douleur physique ou la souffrance psychique que vous vivez. Ne vous censurez pas, laissez couler les mots – y compris les plus choquants. Ne vous interdisez rien, videz votre cœur mais allez aussi dans le fond de votre pensée, y compris dans ses recoins les plus obscurs ou inavouables. De temps en temps, vous aurez envie de souligner certains mots, ou d’en écrire d’autres en majuscules. Faites-le.
Ecrivez absolument tout ce que vous n’avez jamais osé formuler à voix haute.
Notez aussi sans aucun filtre toutes les envies de vengeance qui traversent votre esprit. Vous avez le droit d’être dur, excessif, maladroit, injuste. Cette lettre n’appartient qu’à vous.
Prenez le temps nécessaire, mais rédigez cette missive vengeresse en une seule fois.
Et lorsque vous sentez que tout a été dit, clôturez votre lettre par une affirmation qui vous appartient : « Je me libère de ma colère », « Je te rends le mal que tu m’as fait », « Je ne veux plus rien avoir à faire avec toi », « Je choisis la vie », « Je me détache de cette histoire », « Maintenant, je décide d’avancer avec plus de légèreté », « Je suis ma priorité », « J’écris mon avenir »…
Cette lettre, non seulement vous n’allez pas l’envoyer, mais vous n’allez pas non plus la garder.
Vous pouvez la froisser, la déchirer et enfouir les morceaux, la brûler… Ce faisant, n’hésitez pas à répéter votre affirmation de conclusion, pour bien l’ancrer.
Ensuite, il est conseillé de prendre du temps pour soi car cet exercice peut être bouleversant. Il remue des émotions profondes, parfois anciennes. Allez faire un tour à l’extérieur, marchez, respirez, buvez de l’eau, prenez un bain, écoutez une musique qui vous fait du bien… Peut-être ressentirez-vous le besoin au bout de quelques jours, de prolonger cet exercice en allant consulter un professionnel (psychologue ou psychothérapeute) qui pourra vous aider à mettre de l’ordre dans ce que vous avez ressenti et à tirer un trait final.
La lettre de revanche est une étape possible, parfois définitive, mais elle ne guérit pas forcément tout. Elle ouvre un espace dans lequel votre voix peut enfin s’exprimer. Et parfois, c’est tout ce dont on a besoin pour commencer à se réparer.