À la ville comme à la campagne, qu’est-ce qui pousse tant d’entre nous à semer, planter, récolter ou simplement à flâner dans ces lieux parfois insolites ?
D’après de récentes études (1), nous sommes de plus en plus nombreux, non seulement à apprécier de passer du temps dans un endroit végétalisé, mais aussi à « gratter la terre ». Actuellement, 89% des Français disposent d’un « espace de jardinage » ( jardin, terrasse ou balcon) lié à leur habitation principale et 90% d’entre eux se disent adeptes du jardinage, y compris en milieu urbain. À tel point que le jardin est de plus en plus considéré comme une pièce à vivre, dont il faut prendre soin au même titre, par exemple, que le salon. Ceci génère un chiffre d’affaires qui, depuis dix ans, croît d’environ 5,5% chaque année pour atteindre 7,5 milliards d’euros en 2013.
À l’instar des magasins de bricolage, les jardineries ont le vent en poupe, de même que les émissions radio et télé ainsi que les magazines spécialisés distillant conseils et astuces. Sans parler de ce qui ne peut être que difficilement chiffré : d’une part les nombreux trocs et bourses aux plantes organisés dès les premiers beaux jours aux quatre coins de la France avec un succès grandissant ; d’autre part les nouvelles formes de jardins, associatifs, partagés, thérapeutiques, d’insertion, nomades, éphémères, etc.
Pourtant, pareil élan n’a pas toujours été d’actualité. Dans un passé pas si lointain, entre la Première Guerre mondiale et la fi n des Trente glorieuses, jardiner était considéré comme dégradant. L’exode rural, le boom de l’immobilier ainsi que le développement de la grande distribution, vue comme la panacée de la vie moderne et de la société de consommation, ont grandement contribué au désamour vis-à-vis des « choses de la nature ». Même les jardins ouvriers, créés à la fin du XIXe siècle pour améliorer les conditions de vie de cette population habitant à la périphérie des grands centres urbains et industriels, n’ont pas fait exception.
Leur déclin n’a été enrayé qu’à la fin des années 1970, le Code rural garantissant depuis 1976 la pérennisation des jardins existants, devenus entre temps « Jardins familiaux ».
Se (re)connecter à la terre, au temps et aux autres
La plupart des spécialistes (2) constatent que les temps de cr ise ont toujours été propices à l’essor des jardins. C’est aussi le cas en ce début de XXIe siècle, alors que nous sommes confrontés à d’innombrables défis économiques, sociaux et environnementaux. Les raisons à cela sont multiples. Tout d’abord, les rythmes et les modes de vie actuels, l’omniprésence des écrans et la connexion quasi-permanente qu’ils permettent, nourrissent fortement l’aspiration à trouver refuge « au vert ». Jardiner soi-même ou profiter d’un jardin comme d’un espace de loisir et de bien-être permet en effet d’évacuer le stress, de se (re)connecter au vivant, au réel, à la terre et au temps, celui qu’il fait et celui qui passe.
Même lorsque le travail de la terre demande un effort et confronte à l’échec (platesbandes détruites par les intempéries ou les parasites), le ressourcement tant physique que mental est largement mis en avant par celles et ceux qui s’y adonnent. De même que le renfort de l’estime de soi, nourrie par le fait de pouvoir donner libre cours à sa créativité et de récolter le fruit de son labeur.
Cela dit, même si le jardin représente pour certains une forme de « bulle » régénérante, on jardine de moins en moins pour soi uniquement. En effet, la dimension sociale que représente cette activité est de plus en plus plébiscitée. Les nouveaux concepts du jardinage, en particulier dans l’univers urbain, sont à cet égard emblématiques (voir article page 11). Si l’on jardine, c’est aussi pour échanger, partager, construire du lien. Sans parler de la conscience environnementale, liée à la nécessité de préserver la biodiversité, de plus en plus forte elle aussi. Le désir de manger sain et local a conduit, entre autres, à la création des Amap (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne) en 2001. Mais cette aspiration n’intéresse pas seulement les particuliers : les pouvoirs publics encouragent eux aussi les initiatives pédagogiques et citoyennes oeuvrant dans ce sens.
Enfin, les difficultés à boucler les fins de mois ne sont pas la moindre des motivations avancées par beaucoup de celles et de ceux qui se lancent dans la culture potagère, y compris sur les toits des villes. Même quand on n’y connaît rien, devenir jardinier amateur n’est alors pas envisagé d’abord comme une activité de loisir, mais bien comme un moyen de subsister. Ce qui fait dire à certains qu’il n’est pas si loin, le temps où chacun aura à nouveau son lopin
de terre…
(1) : Enquêtes UNEP-IPSOS et Planetoscope 2013.
(2) : Renouveau des jardins : clés pour un monde durable, actes du Colloque de Cerisy