Philon

Il y a une certaine mystification religieuse qui consiste à calmer l’angoisse des personnes faibles, en leur faisant miroiter qu’elles seront accueillies par Dieu. Cela confirme le soupçon de Nietzsche selon lequel Dieu est le refuge des faibles. Sur le plan psychologique, la chose peut d’ailleurs être efficace. Du moment qu’on croit qu’on n’est pas rejeté, on a plus de chances de s’accepter. Jésus disant « Celui qui vient à moi, je ne le rejetterai pas » a su canaliser les frustrations de millions de névrosés qui aujourd’hui encore s’adressent à lui comme à un guérisseur et obtiennent souvent des résultats honorables. Il n’en reste pas moins qu’on peut aussi le dénoncer comme une illusion de la conscience.

Socrate

Il me semble que Jésus accueille une personne rejetée en son propre nom. C’est un engagement risqué et généreux qui invite à une expérience bien plus qu’à une croyance. Lorsqu’un Denis Mukwege dit, aux victimes des violences de guerre commises au Congo, qu’il ne rejettera pas celui ou celle qui vient à lui, il devient un de ces grands chamanes ou guérisseurs qui, à travers les siècles, réparent les corps et les âmes. Je ne vois pas en quoi consiste la mystification, si cette promesse est tenue avec une compétence médicale et une compassion en acte.

Philon

La guérison passe certes par des personnes bien intentionnées. Mais, lorsque les bourreaux ont le pouvoir de commettre des violences, à quoi bon faire appel aux bonnes volontés ? Il faut des changements politiques bien plus que des actions éthiques. Même un bienfaiteur se rendra compte qu’il œuvre en vain, si on ne remonte pas aux causes qui se trouvent dans la violence de l’exclusion et de l’oppression. C’est de combattre les malfaiteurs qui est efficace, plutôt que de se soucier d’abord de leurs victimes. On ne doit pas traiter comme une maladie ce qui est un mal, fruit d’une injustice qui appelle de notre part une opposition. La question est moins « comment guérir du rejet ? » que « comment neutraliser et sanctionner l’auteur du rejet ? ».

Socrate

La force de la justice est nécessaire à la reconstruction de soi. Mais elle ne saurait suffire, parce que le rejet a dégradé chez la victime l’estime de soi et la possibilité de s’aimer. Pas plus que ne suffit le fait de s’entendre dire qu’on ne sera pas rejeté. Car même le soin, compris comme acte de guérison, réifie la personne, traitée comme un malade. C’est seulement d’exister dans une conscience aimante en étant reconnu dans sa dignité de sujet, qui permet de surmonter le traumatisme d’avoir été réduit à l’état d’objet. Il n’y a donc que l’amitié, comme relation d’égal à égal, et non de soignant à soigné, qui puisse nous guérir du rejet.