Entre droits des femmes et #metoo, discussions sur le genre ou débats sur la maternité, il est parfois difficile de délivrer les bons messages, en étant réaliste mais sans être alarmiste.
Quand on est une femme, et qu’on a une (ou plusieurs) filles, comment leur transmettre les valeurs du féminisme ? Et je dois dire que depuis quelques années, ce mystère s’épaissit…
Les droits des femmes nous obligent
Pour des femmes de ma génération (j’ai grandi dans les années 1970/1980), le féminisme était surtout le combat de nos aînées, sur des droits naturels des femmes à disposer d’elles-mêmes : droit de vote, accès aux études, indépendance financière, sexualité, maternité, contraception… Si bien que pour moi, être une fille n’a jamais fait de différence, ni à l’école, ni à l’université. Et tous ces sujets étaient pour moi une évidence. A vrai dire, je ne me suis jamais vraiment posé de questions, c’était acquis.
Nous avons été élevées avec des « Tu as le droit » : tu as le droit de faire des études, tu as le droit de travailler, tu as le droit de te marier – ou de divorcer, tu as le droit d’avoir des enfants quand tu veux – et de décider combien, tu as le droit de penser ce que tu veux – et d’aller où tu veux sans demander la permission à qui que ce soit… Nos réussites dans ces domaines étaient d’ailleurs une forme de récompense pour celles qui nous avaient élevées. Nous, on trouvait ça juste normal.
Certes, quand j’ai commencé à travailler, j’ai bien compris que pour l’égalité des salaires il allait falloir s’accrocher, et surtout se défendre, quitte à passer pour une harpie.
Quand on élève une fille, on a le devoir de lui transmettre tout cela. C’est en tout cas ce que je me suis toujours dit – et j’espère l’avoir fait.
Mais dans le même temps, je me suis vite rendu compte que moi aussi je véhiculais des discours sexistes (ou genrés) : fais attention quand tu sors (et surtout quand tu rentres – et avec qui), ne t’habille pas comme cela, ne traîne pas à tel endroit – et encore moins tard, ne bois pas trop – on ne sait jamais… Ce qui signifie que, si les hommes peuvent s’avérer dangereux, c’est avant tout aux femmes de s’en prémunir. Donc, être une femme, ça fait une différence. Involontairement, j’ai créé des alertes – donc des interdits.
La perte des repères
Dans mon métier, j’accompagne beaucoup d’adolescentes et de jeunes femmes et j’entends leurs interrogations sur leur avenir – et plus globalement celui de la planète -, leur liberté, le respect de leur personne – et je dirais même le respect de leur identité, c’est-à-dire ce qu’elles sont vraiment.
Que n’entendent-elles pas ! D’un côté, il faut être militante, « dure », c’est-à-dire combative et ne rien lâcher sur l’égalité, ni les droits chèrement acquis (qui au-delà d’être les droits des femmes, sont les droits de tout humain). De l’autre côté, il ne faudrait pas non plus éteindre le féminin, c’est-à-dire cette puissance profonde et instinctive, dont est dotée la moitié de l’humanité, et dont l’expression contribue aussi à transformer le monde.
Le féminisme canal historique des baby-boomeuses a fait place au néo-féminisme des millenials. Nécessaire, indispensable, évolutif. Mais n’est-il pas en train de tuer le féminin, au prix d’une négation de soi – d’un nivellement égalitaire ? C’est aussi ce à quoi m’a fait penser cette video devenue virale (en anglais. Be a lady, they said – sois une femme qu’ils disaient), où sont relevées bon nombre d’injonctions contradictoires auxquelles les femmes sont confrontées. Que faut-il choisir, alors ?
Quel féminin ?
Parce qu’au fond, qu’est-ce qu’être une femme ? Et l’on voit bien que cette réalité s’incarne de tant de manières différentes pour chacune. Pour être strictement féministe, faut-il s’interdire de céder aux « attributs » du féminin (et là, si je pouvais, je mettrais beaucoup de guillemets pour ne pas être taxée de discrimination) ? Bref, si je discute maquillage ou chaussures avec ma fille, est-ce que je l’enferme dans un dangereux discours sexiste ? Ou est-ce qu’on y a droit quand même (parce qu’on aime ça), tout en restant féministe ?
J’ai bien conscience que l’apparence physique agréable (ou rendue comme telle) n’est pas l’apanage du sexe féminin. Mais faut-il pour autant se l’interdire, comme il faudrait taire la séduction, refuser la galanterie, mépriser la douceur ou la bienveillance… (aïe, je viens sans doute à nouveau d’enfiler une série de lieux communs…) ? Une maman me disait récemment qu’elle était déconcertée quand sa fille de 7 ans lui disait qu’elle se trouvait belle. La maman estime qu’elle prend un risque en s’affirmant par l’apparence (mais pas seulement), alors que cela donne beaucoup de confiance en elle à cette petite fille. Est-ce péché ? Si on encourage les hommes à développer leur part de féminin (une alchimie qui serait composée de sensibilité, écoute de soi et des autres, empathie, psychologie, intuition, créativité…), c’est donc bien que ce concept correspond à une réalité qu’on peut s’autoriser à exprimer – et qui paraît positive.
A l’inverse, faut-il tomber dans une revendication systématiquement militante du féminin ? Voire imposer un modèle de féminin ?
Ma fille me faisait récemment remarquer que « la sexualité féminine, c’est à la mode » (ajoutant également que c’était aussi un excellent argument marketing). Un sujet tendance, donc, dont il faut désormais débattre sans tabous, au motif de la parole libérée (sinon, on passe pour un conservateur totalement has been). Effectivement, on ne peut plus ouvrir une revue sans tomber sur l’anatomie d’un clitoris ou des règles plus vraies que nature. La société qui étale ce féminin-là (j’ai envie d’écrire « jusque-là »), comme pour se dédouaner, est-elle pour autant moins sexiste et plus égalitaire ? Allons-nous tomber dans un « woman washing » des marques (un « affichage féministe ») à l’image du vrai-faux green-washing qui donne des allures de sauveurs du monde à de vrais pollueurs ?
Et puisqu’il paraît impossible de trancher globalement sur ces sujets, il me semble que la meilleure réponse est : fais comme tu le sens. Ecoute ton corps, respecte tes envies, pose tes limites, ose affirmer ce que tu penses. On peut être féministe et féminine de nombreuses manières, et surtout comme on le sent. Personne n’a à juger de cela – dans un sens comme dans l’autre.
Et les hommes dans tout cela ?
Mais ce que j’ai oublié de vous dire, c’est que j’ai aussi un fils. Et que dans mon cabinet, je reçois également des adolescents et des hommes. Et que j’entends aussi leur désarroi, leur incompréhension (car beaucoup on la sensation de n’avoir « rien fait » et de payer pour d’autres) et parfois leur colère (dans des termes que j’éviterai de reproduire pour les lecteurs de ce blog…), sur l’air du « on ne peut plus rien dire ».
Car je me suis efforcée aussi de transmettre le féminisme à mon fils : le respect des femmes, tout comme le respect de l’autre en général. Or dans ce monde dans lequel il grandit, il est confronté tout aussi bien à la cyberpornographie (qui véhicule une sexualité faite de violence), qu’à un féminisme ultra combatif et culpabilisant, qui pourrait même remettre en question son identité masculine à lui, et juger immanquablement ses comportements.
De fait, a-t-il le droit de dire à une jeune fille qu’il la trouve jolie (si c’est vrai) ou qu’elle lui plaît (si c’est sincère), sans pour autant prendre des coups de sac à main (ou de pied) ou être contraint de recueillir auparavant son consentement libre et éclairé ? Certains hommes confient qu’ils ne savent plus comment se comporter, qu’ils sont vigilants à tous propos – et à tous leurs propos et qu’ils doivent parfois presque s’excuser d’être des hommes. Pour ma part, je n’ai pas non plus envie d’une société où les hommes sont stigmatisés ou considérés a priori avec méfiance. Une polarité n’est pas supérieure à une autre – et encore moins parce qu’il devrait y avoir un effet balancier – ni des envies de vengeance.
L’important est peut-être au final que ces sujets soient débattus, dans la sérénité, l’écoute de l’autre, l’acceptation de la divergence des points de vue et la recherche d’un équilibre. C’est sans doute cela que l’on peut le mieux transmettre, aussi à la force de l’exemple – le nôtre. Une approche qui fonctionne avec tout le monde, filles comme garçons.