Le coin du philosophe 

Philon. Nous savons bien que la paix est une sorte de trêve. À moins qu’elle ne soit franchement un rêve. Celui qui prétend l’avoir trouvée ferait bien de se préparer à la perdre bientôt. Pour frayer son chemin, dans un monde violent, où ceux qui font le choix de la raison seront toujours minoritaires, l’Homme doit être prêt à lutter.

Socrate. Mais de quelle lutte parles- tu ? L’adversaire n’est pas seulement hors de nous, mais aussi en nous. L’ennemi est notre ambition, notre soif de dominer. Et il est notre lâcheté, notre servitude volontaire, notre ignorance. La paix des braves suppose de savoir que l’autre, l’ennemi, est mon frère. Je dois le combattre mais aussi me reconnaître en lui. Ses folies sont les miennes. Ce n’est que de cette façon qu’une réconciliation dans la paix sera possible entre lui et moi.

Philon. J’en viens à penser qu’il ne faut pas ressembler à ces pacifistes qui veulent la paix pour elle-même, à n’importe quel prix. La paix n’est désirable que si elle n’est pas obtenue dans le déshonneur et la passivité. Pour ma part, je préfère avoir des soucis, être agité par ce qui me frustre ou m’indigne. De cette façon, je suis sûr d’agir ou de réagir.

Socrate. Tu as raison de vouloir agir et d’affronter avec courage ce qui fait obstacle à ton désir, surtout si ce désir est moral et généreux. Il n’en reste pas moins que tu méconnais la grandeur de la paix comme ressource pour cette action à laquelle tu tiens tellement. La paix n’est pas un répit provisoire, une immobilité dans le mouvement, un week-end dans la semaine de labeur. Elle est le noyau de l’être qui a reconnu la grandeur et la vanité de toute action.

Philon. Que veux-tu dire ?

Socrate. Tu dois viser le succès et pourtant te détacher du fruit de ton action. Ne sais-tu pas que, quelles que soient tes victoires, à la fin tu seras vaincu ? Tu es déjà mort. Puise dans cette idée de quoi relativiser tes combats et tes impatiences d’aujourd’hui. Il y a tant de crispations chez ceux qui n’ont pas encore appris l’art de perdre ou plutôt l’art de remettre.

Philon. Est-ce une sagesse de la résignation ?

Socrate. Ce mot te choque parce que tu veux avoir le dernier mot. Or jamais tu ne l’auras. Sache respirer profondément, te recueillir. Trouve, au plus silencieux de toi, la conscience de ce qui est au-delà de tout. Ne dépose pas le fardeau de tes soucis tant qu’ils te servent à combattre. Mais trouve en toi le noyau insouciant, ce qui en toi déjà participe d’un bien souverain que rien ne saurait atteindre. À cette profondeur, la paix est une réalité continue ; la vérité et l’amour y règnent à jamais. Ne voudrais-tu pas simplement écouter et goûter la paix ?

« Recherche la paix et poursuis-là ! » Psaume 34, verset 15 – Parole de vie pour l’année 2019.

Le coin psy 

« Sors du mal, agis bien, recherche la paix, poursuis-la ! », traduit André Chouraqui. Une phrase, quatre paroles, impérieuses, quatre mots d’ordre qui claquent comme un fouet : debout, faites jour en vous ! C’est que la nuit, la longue nuit d’hiver qui nous enveloppe dans le sommeil paresseux de nos vies, est bien souvent notre état habituel. Le mal – entendons ici le mensonge par rapport à nous-mêmes, l’obscurité qui fait que tous les chats sont gris, le renoncement à notre désir de vie, la tergiversation, la procrastination, l’obstination, le oui déguisé en non, et réciproquement – berce nos vies d’une langueur monotone. Petites compromissions du quotidien, petits arrangements avec la mort. Recherche de bénéfices secondaires, comme disent les psys. L’engouement pour des pratiques telles que la relaxation, la sophrologie ou la méditation est révélateur de l’éparpillement de nos pensées et de nos désirs, quand ils sont soumis au feu roulant des sollicitations consuméristes en tout genre, produits d’une société idolâtre du dieu Encore.

Avec le recueillement et la prière, pour ceux qui sont dans un chemin de foi, ces pratiques sont indicatrices de la nécessité de préserver, dans le tumulte de nos vies, des îlots, des temps de rupture, propices à un recentrage, une présence à soi-même, un être-là, ici et maintenant. La tranquillité au quotidien rime souvent avec sécurité, habitudes de pensée, conformisme de nos faits et gestes, ritualisations de nos pratiques. Et pourquoi pas ? C’est probablement nécessaire à notre équilibre, à condition que le besoin de stabilité ne se transforme pas en rigidité de conduite.

Mais la paix, celle à laquelle aspire le psalmiste, est d’un autre ordre. L’amant des jours, l’homme épris de vie (verset 13), est un éveillé. Il cherche vérité dans son dire, discernement dans son désir, justice dans ses actes. Une quête sans cesse renouvelée Cette quête ne cesse pas, cette paix-là n’est pas repos, assoupissement bienheureux : elle est séparation, du jour d’avec la nuit, du souffle de l’esprit d’avec le tohu-bohu de notre chair, paix dans le mouvement d’une création sans cesse renouvelée. Cherchez le royaume des cieux et sa justice. Quand vous l’aurez trouvé, quand réalité extérieure et réalité intérieure se marieront, alors vous goûterez à ce que Lacan a nommé la paix du soir : « Vous êtes au déclin d’une journée d’orage et de fatigue, vous considérez l’ombre qui commence d’envahir ce qui vous entoure et quelque chose vous vient à l’esprit, qui s’incarne dans la formulation la paix du soir. » Demain, un autre jour.

Le coin biblique 

Malgré la bonne volonté des dirigeants et des peuples de notre planète, la paix est menacée. Jadis, les peuples se battaient pour une terre. Aujourd’hui, les humains se font la guerre entre eux. Le respect des libertés individuelles a fondu comme la glace de l’Arctique et la violence contamine les relations. Dès lors, qui n’aspire pas à la paix, à l’absence des divisions en soi, des conflits dans la vie familiale, des fêlures et des discordes dans la société et des cassures dans les relations internationales ? Mais qu’est-ce que la paix ? Selon le dictionnaire, la paix est l’absence de conflits, la cessation des hostilités, la quiétude exempte d’agitation.

Pour la Bible, la paix n’est pas un moins, mais un plus. Elle se traduit par une présence. Elle peut être expérimentée en toute situation, car elle a sa source et son fondement en Dieu. Le mot hébreu shalom, employé dans le mot d’ordre qui nous est donné pour 2019, désigne ce qui est complet, ce qui n’est pas brisé. David, auquel est attribué ce psaume, après avoir fui Saül qui voulait attenter à sa vie, et s’être réfugié chez les Philistins dont il craignait la vengeance, s’est fait passer pour fou et s’est retrouvé chassé. Cela lui a permis de rester en vie. Dès lors, il rend grâce et met sa confiance en Dieu. Et il nous livre son secret : fuis le mal et fais le bien. Recherche la paix sans relâche et poursuis-la jour et nuit. Ceci peut s’entendre comme un impératif, impliquant que la quête de paix s’accompagne d’actes concrets. Ou encore comme un indicatif, un appel au secours, une quête désespérée de ceux qui ploient sous toutes formes de violence.
La paix ne tombe pas du ciel. La paix est un idéal à conquérir, semblable à un animal craintif qu’il s’agit d’apprivoiser avant de s’en saisir. Tendre vers la paix, c’est la désirer de tout son cœur. Et c’est tout un chemin d’humilité et de lâcher prise, en vue de s’ouvrir de manière patiente et persévérante à l’action même de Dieu. Car il s’agit de laisser Dieu remettre en place les désordres et les guerres au niveau personnel, familial et international. Et cela ne va pas sans faire l’économie d’une prise de conscience de nos agressivités, colères, haines, amertumes, frustrations, insatisfactions et peurs. Tendre vers la paix pour être habités par une force tranquille qui nous aide à être indulgents vis-à-vis de nous-mêmes et bienfaisants pour les autres est une affaire de relation. Elle nous pousse à accueillir la présence de Dieu qui peu à peu s’infiltre en nous et nous rend contagieux de sa paix.

La paix dépasse donc le silence des armes ou la sérénité promise par les sagesses orientales, car elle nous engage à ouvrir nos cœurs aux autres, à être solidaires avec les petits et donc en guerre contre l’injustice, et contre ce qui est pire et plus insidieux, l’absence de miséricorde, pour devenir des bâtisseurs de paix. Sommes-nous prêts à livrer ce combat de chaque instant, en vue de faire triompher l’égalité, la liberté et l’amour fraternel là où nous sommes ?