Sophie se plaint constamment que Thomas ne l’aime pas assez. Quand il sort avec des amis, elle lui envoie de nombreux messages et s’angoisse s’il ne répond pas immédiatement. Pierre a du mal à s’ouvrir émotionnellement à Marie, sa meilleure amie. Lorsqu’elle lui parle de ses sentiments, il change de sujet ou propose de faire une activité.

Ces comportements ne sont pas le fruit du hasard mais trouvent leur origine dans notre enfance. Ils s’expliquent par la théorie de l’attachement, une approche développée par le psychiatre britannique John Bowlby, qui avait travaillé après la Seconde Guerre mondiale auprès d’enfants et d’orphelins dans des milieux défavorisés. Elle a été approfondie dans les années 1970 et 1980 par les travaux la psychologue américaine Mary Ainsworth. Tous deux ont mis en évidence quatre types de profils qui se construisent dans l’enfance et influencent profondément notre vie adulte.

L’attachement – ou notre manière de nous connecter aux autres

A la base de cette théorie figure la notion de sécurité. Un petit enfant ne peut « grandir », se développer psychiquement, s’autoriser à explorer le monde et se lier aux autres que s’il a autour de lui une (ou plusieurs) figure d’attachement, c’est-à-dire un ou plusieurs adultes référents, avec lesquels il a des relations sur la durée, qui lui apportent affection et attention et le sécurisent. L’enfant sent ainsi qu’en cas de danger, il peut toujours revenir à ces modèles, qui sont la plupart du temps ses parents, mais peuvent être aussi des grands-parents, ou un autre adulte à qui ils sont confiés. Les angoisses de séparation, comme l’entrée à l’école maternelle, par exemple, naissent d’ailleurs de la peur d’être éloignées de ces figures protectrices et de les voir disparaître.

La qualité et la solidité de ces relations primitives vont littéralement conditionner tout individu dans ses relations ultérieures aux autres, définissant quatre styles d’attachement.

1- L’attachement sécure

Les personnes ayant un attachement sécure ont généralement grandi dans un environnement stable, avec une présence parentale cohérente et bienveillante – d’un ou des deux parents. Elles ont eu l’habitude que leurs émotions soient entendues et même respectées. En conséquence de quoi, ce sont souvent des personnes à l’aise avec l’expression de leurs émotions, qui savent demander ou exprimer leurs besoins. Elles font volontiers preuve d’empathie et savent doser entre l’intérêt qu’elles portent aux autres et leur recherche d’autonomie.

2- L’attachement anxieux (ou préoccupé)

Ce style d’attachement s’est souvent construit dans un environnement familial plus instable ou imprévisible. Le ou les parents ont pu varier dans leurs réponses aux besoins de l’enfant – tantôt présents, tantôt absents, tantôt attentifs, tantôt détachés.

Les personnes qui ont construit un attachement anxieux sont en forte quête d’approbation de leur entourage. Elles s’inquiètent fréquemment de la solidité de leurs relations et ont tendance à douter de l’attention ou de l’amour qu’on leur porte. Elles ont un besoin permanent d’être rassurées – et une peur bleue du rejet.

3- L’attachement évitant

Un enfant va développer un attachement évitant quand son ou ses parents ont été émotionnellement distants, froids ou ont dévalorisé, voire dénié, l’expression des besoins et des émotions. Devenu adulte, cette personne va se protéger en privilégiant l’indépendance plutôt que la relation, au point qu’elle peut paraitre détachée ou indifférente.

4- L’attachement désorganisé

Ce style d’attachement a été décrit plus tardivement. Il peut résulter d’expériences traumatiques ou de comportements parentaux contradictoires, chaotiques ou effrayants. Ceux qui ont dû se construire avec ce style d’attachement présentent des comportements relationnels incohérents, difficilement compréhensibles pour leur entourage, oscillant entre recherche excessive de proximité et évitement, avec une difficulté à réguler leurs émotions.

L’influence de l’attachement au quotidien

Les styles d’attachement ont des répercussions sur l’expression des besoins et des émotions, donc sur la capacité à communiquer mais surtout à se positionner et à interagir dans toutes les relations humaines. C’est dans la vie affective et dans le travail que leur expression peut être la plus visible… ou problématique.

Une personne ayant un attachement sécure va agir avec plus d’aisance, voire de confiance. Elle s’investit généralement dans une relation équilibrée, basée sur la confiance et le respect mutuel. Professionnellement, elle peut à la fois collaborer sereinement et savoir poser des limites.

Quelqu’un qui a un attachement anxieux est en quête d’un idéal, ce qui crée une hypervigilance. Il peut être un(e) amoureux fusionnel, étouffant, avec une tendance à la dépendance affective, interprétant le moindre fait et geste. Au travail, c’est un collaborateur en demande de reconnaissance, sensible au regard et à l’appréciation des autres et qui a peur de décevoir.

Celui ou celle qui se trouve dans un attachement évitant peut se montrer froid dans ses relations, et donner l’impression de chercher le plus souvent à être seul. Il ou elle a peur de l’engagement. Dans la vie professionnelle, il garde ses distances, a du mal à déléguer ou à faire confiance, ne demande jamais d’aide et adore travailler en solo.

Enfin, un adulte qui doit composer avec un attachement désorganisé entretient des relations amoureuses en dents de scie, avec des montagnes russes émotionnelles, soufflant le chaud et le froid, alternant entre fusion et rejet. Au travail, il peut être un manager brillant mais inconstant, impulsif et difficile à suivre et prompt à créer des tensions.

Peut-on faire évoluer son style d’attachement ?

La bonne nouvelle est que nos styles d’attachement ne sont pas figés pour toujours. Bien que profondément ancrés, ils peuvent évoluer pour nous amener, en tant qu’adulte, vers la sécurité qui a pu faire défaut. Cela passe par :

  • La prise de conscience : Identifier son propre style d’attachement, sans jugement, est la première étape indispensable vers un changement.
  • La recherche de relations sécurisantes : Fréquenter des personnes ayant un attachement sécure peut progressivement transformer notre propre style, y compris par mimétisme ou imitation.
  • La thérapie : Les approches comme la thérapie cognitive-comportementale ou la psychothérapie centrée sur les émotions peuvent aider à développer des modèles relationnels plus sains et équilibrés.
  • L’acquisition de nouvelles compétences : Toutes les méthodes et outils de développement personnel basées sur la communication, la compréhension et l’expression des besoins comme des émotions sont favorables : communication non-violente, programmation neurolinguistique, intelligence émotionnelle…

Travailler sur notre style d’attachement est une chance pour améliorer notre épanouissement personnel et nos relations, pour notre bien-être émotionnel et celui des autres. Cette connaissance de soi n’est pas destinée à nous étiqueter, mais à nous ouvrir la voie vers des relations plus authentiques et équilibrées.