Cette année sera marquée par la modération. Au-delà de l’acceptation d’une fête rétrécie, les familles se découvriront dans une situation inhabituelle, proche de celle de Joseph et Marie : la solitude. Si ce n’est la solidarité des mesures de protection pour la santé, Noël 2020 peut-elle être une belle fête sans retrouvailles ?

La dinde familiale se transforme peu à peu en coquelet. Certains enfants ont déjà compris que les temps sont exceptionnels et osent à peine rêver de jeux, encore moins des cadeaux pailletés du père Noël de leurs souvenirs. Les conseils de prudence auxquels le pays est soumis incitent les parents à un Noël restreint, sans tambour ni trompette. Cette fin d’année paraît vouée à un rapide oubli dans les mémoires.

Fête sociale incontournable

Noël est pourtant la seule fête incontournable en France avec ses trois dimensions conjuguées d’hymne à l’enfance, de naissance du petit Jésus et de père Noël. Un moment de joie restreint à la stricte intimité peut-il être beau, au point que le futur s’en souvienne positivement ? Pour se souder, une société a besoin de moments forts qui fassent ancrage. Ces temps de lien social auront été denses cette année entre les confinements, la résistance à l’extrémisme religieux, ou même le suspens de Noël. Comme pour tirer vers l’optimisme une société qui s’avoue fatiguée, Noël 2020 est un cru qui décale les habitudes et invite à regarder la fête autrement.

Le cru 2020 sera étonnant

Joseph et Marie sont décrits comme vivant une situation d’urgence. Tendus vers un but administratif de recensement, ils sont surpris par l’arrivée de la naissance, sans avoir pu réellement prévoir. Comment comprendre autrement qu’il n’y ait eu de place nulle part que dans une grange ? Au siècle de la prévoyance, cette impréparation peut paraître bizarre, mais confronte à un essentiel : la vie n’est jamais ce que l’on peut en prévoir, mais ce qui s’y invite. Étonnant rappel de l’irruption du vivant, dans cette période troublée. La seconde observation sur le couple à l’enfant est sa solitude. La société habituelle est absente de l’événement, pas de sage-femme, pas de fête. Et pourtant l’on ressent quelque chose de paisible à la lecture : la naissance, les langes, la crèche, suite normale des gestes de la vie. Les bergers seuls rompront cette solitude et feront société humaine, jusqu’à laisser Marie pensive du sens de ce qui lui arrive… « elle repassait toutes ces choses dans son cœur » dit l’Évangile. Étonnant rappel que le quotidien est second face à la rencontre. Les bergers eux-mêmes sont saisis de frémissements dans leurs pâturages, au point qu’il soit nécessaire de les rassurer et que leurs discours étonnent ceux qui les entendent. Étonnant rappel que la parole peut remettre en chemin. L’étonnement sera la marque de ce Noël si particulier.

Pas beau, mais fondateur

Il n’est pas utile de viser la beauté de Noël pour cette édition-ci. Trop de souffrances viennent en turbulence pour que l’esprit de la naissance, que l’on aurait pu souhaiter plus léger, s’impose. Ce Noël n’est pas beau. Il est une expérience, essentielle, de l’étonnement. Il fait penser à un autre étonnement chargé de questions, à la fin de l’évangile de Marc. Les femmes allant au tombeau le matin de Pâques le trouvent vide, et s’étonnent, tressaillent, s’enfuient. Beaucoup d’exégètes pensent que l’évangile de Marc s’arrêtait là et qu’il a été complété ensuite, sous l’impulsion de cette nécessité compréhensible de ne pas finir un témoignage sur un étonnement, une frousse, une question. Mais la réalité est têtue. Cette année 2020 marquera la proximité de Noël et de Pâques, autour de l’étonnement, de la question. Quelle qu’elle soit pour chacun, elle force à réfléchir et remettre en jeu les habitudes.