Ensemble, Jeanne et Yves ont décidé d’accueillir un enfant après quelque temps de vie commune. Ils ont choisi de le faire dans le cadre du mariage, qui leur paraissait offrir une stabilité à leur progéniture. Ce beau projet se concrétisera comme il se doit avec fête et flonflons, les familles sont donc mises au courant et l’on trouve une date, un lieu. Et puisque c’est la tradition et que les deux impétrants ne sont pas indifférents à la dimension spirituelle de leur union, ce jour sera marqué par une célébration religieuse. Jusque-là, tout va bien.

Pas si simple ! 

Oui mais voilà, Jeanne est protestante et Yves catholique, leur mariage est donc qualifié de « mixte » du point de vue de la célébration. Commence alors une vaste série d’interrogations pour ces deux jeunes : mariage protestant ? catholique ? œcuménique ? Faut-il un prêtre ? un pasteur ? les deux ? Y aura-t-il communion ? Et les familles, ça se gère comment ? Déjà, parents et grands-parents commencent à parler, l’un de messe, un autre de bénédiction, un troisième d’éducation des enfants. Jeanne et Yves sentent se refermer sur eux comme une nasse de désirs contraires qu’ils ne savent pas encore analyser autrement que par un « On pensait que ce serait plus simple ! ». Cela peut effectivement être simple, dans la mesure où chaque enjeu est clarifié.

Il y a Église et Église 

Comprendre avant toute décision que chaque confession chrétienne est différente est essentiel. Schématiquement, et au risque d’être caricatural, l’Église catholique est instituée comme intermédiaire entre Dieu et l’humain. Cela lui donne une dimension de sacralité que l’on décèle par exemple à travers la capacité du prêtre à absoudre les péchés au nom de Dieu, la dimension sacrée et indéfectible de l’union maritale ou le statut des sacrements considérés comme signes et moyens de la grâce de Dieu. Dans cette réalité catholique, le sacrement est donc une voie d’accès au salut, même si de nombreux fidèles ne sont pas conscients de cela.

Pour le protestantisme, la chose est différente car la relation entre Dieu et l’homme est avant tout une question personnelle. Tout aussi caricaturalement que pour l’Église catholique, on peut alors définir chez les calvinistes l’Église comme l’événement où des fidèles se rassemblent en communauté en fonction de leur foi, pour célébrer Dieu. L’Église est donc le résultat de la foi et n’a pas de sacralité particulière, si ce n’est la présence de Dieu invoquée lors des célébrations. Les sacrements, signes de la grâce divine, ne sont pas des moyens pour accéder à Dieu ou au salut ; la présence réelle de Dieu y est effective lors de la sainte cène par exemple, mais par la prière du croyant et non à travers le pain et le vin, même si la place du pasteur est un peu différente entre luthériens et calvinistes – mais c’est un autre sujet.

Quel mariage choisir ?

Forts de ce rappel trouvé dans des ouvrages de référence des bibliothèques familiales, Jeanne et Yves décident que, puisque la dimension spirituelle est importante pour eux deux, il doit bien y avoir une possibilité de mixer tout cela et de prévoir une célébration sympathique pour correspondre à leurs attentes et leur souhait de ne froisser personne au sein de leurs familles respectives. Ils recherchent donc un prêtre et un pasteur, se disant que ceux-là pourront bien s’arranger en chrétiens, suffisamment pour donner à l’ensemble une tournure collaborative de bon aloi. Las ! Pasteur et prêtre une fois trouvés, rien n’est réglé.

Car la réalité des Églises fait que le mariage vu par un catholique sera un sacrement, là où le mariage protestant est une bénédiction des époux à l’occasion de leur mariage civil. L’usage œcuménique veut que le mariage catholique soit célébré dans une église catholique avec le consentement des époux reçu par un prêtre et une inscription dans les registres catholiques, alors que le mariage protestant sera célébré dans un temple et les consentements reçus par un pasteur. Il n’y a pas à proprement parler de mariage œcu-ménique puisque le sens du mariage est différent et que son inscription sur les registres se doit d’être unique pour une raison catholique d’insolubilité. Il faut d’ailleurs signaler qu’à ce stade, un mariage protestant n’est pas recon- nu comme tel par la partie catholique, car il n’y a pas réellement sacrement. En revanche, quelle que soit la formule choisie, Jeanne et Yves peuvent prévoir une célébration œcuménique de leur choix, puisque la canonicité du mariage catholique tient au consentement des époux reçu dans une église par un prêtre consentant, et non à la célébration elle-même.

Question de communion

Encore faut-il s’accorder sur le type de célébration. Il s’agira d’une messe dans une église catholique, le terme de « messe » incluant d’office une célébration de l’eucharistie, à laquelle les protestants ne sont pas invités. Là encore il s’agit d’un choix à faire pour les deux époux, afin que la communion ne devienne pas un signe de désunion. Et s’ils souhaitent qu’il n’y ait pas d’eucharistie, Jeanne et Yves auront sans doute à accompagner leur famille catholique pour rappeler que ce n’est pas la messe qui fait le mariage, mais le consentement et qu’une célébration sans eucharistie ne signifie pas un mariage au rabais.

Des détails importants

Les tourtereaux, pensant avoir réglé l’essentiel, informent leurs familles respectives de leur choix. Surgissent alors quelques soucis qu’ils n’avaient pas prévu : prière à la Vierge, bénédiction des alliances, intentions de prière pour associer les défunts dont le souvenir reste chéri : Jeanne et Yves sont plongés bon gré mal gré dans la théologie pour ce qui paraîtrait à beaucoup du détail. Et pourtant ce sont ces petites choses qui marquent souvent le fait qu’une assemblée se sent bien lors d’une célébration qui tient compte des deux familles et de la spiritualité de chacun. Car tous ces points marquent la place de l’Église, entre catholicisme et protestantisme. Les protestants n’acceptant d’autre intermédiaire que le Christ entre Dieu et l’humain, la prière à la Vierge leur paraîtra incongrue, alors que même si elle est optionnelle pour un mariage elle formera une sorte de dédicace pour la partie catholique. Côté protestant, la bénédiction sera considérée comme le fait de dire du bien de la part de Dieu de personnes à l’occasion de leur projet, donc la bénédiction des alliances paraîtra incongrue. Pour la partie catholique, associer les personnes défuntes est une évidence puisqu’une communion des saints est présente aux cieux. Les protestants veulent en revanche « laisser les morts enterrer les morts », selon les paroles de Jésus, et considèrent donc que leur devenir est l’affaire de Dieu.

Considérant que les obstacles sont tous levés et que leur choix est le plus simple car il leur correspond, Jeanne et Yves laissent prêtre et pasteur s’arranger pour savoir qui fera la prédication et lancent leurs invitations. Hésitant entre les termes de « messe », « célébration œcuménique » ou « culte à l’occasion de leur mariage », ils choisissent la seconde proposition pour inclure leurs proches dans une approche simple et accueillante. Après tout, si les dessous de la préparation peuvent être un peu complexes, le résultat doit être simple : ils s’aiment et le partagent. Dans un coin de leur tête s’immisce déjà la question suivante sur l’éducation des enfants. De quoi discuter encore…