Difficile, quand on est parent, d’avoir le bon discours quand on est soi-même perdu. Alors comment faire ?
J’ai récemment écrit sur le Covid burn-out, et je dois dire qu’il n’épargne pas non plus les enfants, ni les adolescents. Beaucoup manifestent depuis la rentrée des troubles anxieux, qu’ils vont traduire par une phrase simple : « ça me stresse ». Je connais bien cette assertion, qui résume une réalité confuse. On sent qu’ils prennent sur eux et gambergent de manière inquiète. Mais, chez certains, ce déséquilibre se traduit par des maux tout à fait physiques : mal de ventre, nausées, oppression, retour des terreurs nocturnes, difficultés à l’endormissement…
Des témoins impuissants
Les enfants ont vécu la même chose que nous, mais certainement en pire :
- parce que la distillation de l’anxiété a été quotidienne pendant le confinement : médias, réseaux sociaux (pour les ados qui les scrollent en permanence), discussions en famille ou entre eux par messagerie. Ils n’ont pas pu échapper au bombardement quotidien de l’inattendu et du pire.
- parce qu’ils ont souvent été assimilés à des petits pestiférés, porteurs sains, mais susceptibles de contaminer les autres. Les recommandations médicales ont évolué – et ça n’est certainement pas encore fini. Je suis sidérée d’entendre que l’on parle des enfants – et parfois devant eux – comme s’ils étaient des rats de laboratoire.
- parce qu’ils ont vu leurs piliers vaciller : parents eux-mêmes angoissés – débordés par le télétravail, grands-parents éloignés – dont on s’inquiète pour la santé. Certains enfants ont cohabité avec un (voire deux) parents malades, pour lesquels ils ont conçu une panique intérieure intense à l’idée de les voir disparaître, sans pouvoir autant réussir toujours à l’exprimer.
- parce qu’ils prennent sur eux, et ne veulent pas être « un problème de plus », quand ils sentent leurs parents déjà déstabilisés.
- parce que leurs relations sociales se sont arrêtées du jour au lendemain. « Grandir ensemble » est un facteur essentiel de développement. Or, pendant 2 mois (voire plus pour ceux qui n’ont pas repris les cours), plus de copains… Ni à l’école, ni au cours de sport, ni à la bibliothèque, ni au square…
- parce que certains ont été, au contraire, submergés de travail à faire (dans une injonction à l’autonomie pour laquelle ils n’avaient jamais été préparés auparavant) ce qui leur a causé stress et sentiment de culpabilité.
Dans cette situation, non seulement ils étaient impuissants, mais leurs parents l’étaient aussi. Or, une des fonctions de la parentalité est bien d’assurer la sécurité. C’est, notamment, parce qu’il se sent aimé et protégé que l’enfant peut se développer en toute sérénité, et sans avoir à se soucier du quotidien. Les adultes sont souvent vus comme des références, des « sachants » auxquels enfants et adolescents accordent dans leur toute-puissance des super-pouvoirs. Enfant, on pense toujours que Papa ou Maman vont savoir quoi faire – ou nous tirer de n’importe quelle situation. Là, personne n’y pouvait rien. Le seul bienfait du confinement a été la reconstitution du noyau familial. Jamais enfants et parents n’avaient passé autant de temps ensemble.
Depuis juin – ou septembre – ils sont retournés à leurs chères études, avec, certes, des obligations nouvelles liées aux gestes-barrière, mais comme si rien ne s’était passé. Or, tout n’est pas si simple. J’aimerais relater deux anecdotes récentes avec des « petits ».
Cette semaine, j’ai échangé avec un garçon d’une douzaine d’années en consultation. Particulièrement angoissé, et avec des maux de ventre sans origine physiologique réelle. Je lui ai confié que, cette année, nous autres adultes, avions eu tous l’impression d’être des enfants : on nous a imposé des restrictions de sorties, il nous fallait des autorisations, on doit « écouter » ce qu’on nous dit, et non plus faire ce que l’on veut quand bon nous semble…
Je lui dis : « Tu sais, c’est comme si on avait nous aussi des super-parents qui décident pour nous : le président de la République, le Premier ministre et le ministre de la Santé ». Et là il ajoute « Oui, et le ministre de l’Education nationale aussi ! ». Et on a ri. Cet éclat de rire nous a réunis et a dissipé les nuages.
La semaine précédente, je croise dans la rue une de mes clientes qui j’ai suivie pendant sa grossesse, et qui a accouché en avril. Elle me présente son bébé, un beau garçon costaud et jovial. J’accroche ce sourire, mais je réalise bien vite que, masquée, il ne peut certainement pas saisir les mimiques et autres grimaces que je lui adresse. Avec l’autorisation de la maman (et après m’être dûment désinfecté les mains), je m’accroupis pour être à son niveau et recommence mes gazouillis, en lui chatouillant ses adorables petits pieds potelés, et en faisant toutes les nuances de regards dont je suis capable. Il s’est mis à se tordre de rire. Le courant était quand même passé. Je suis repartie en pensant à ces tout-petits qui ne connaissent pour l’instant que des moitié de visages. Quelles conséquence auront ces interactions réduites ?
Alors, comment faire ?
Aucune situation n’est idéale, et il n’y a pas de formule magique. Je vous propose donc quelques suggestions en vrac, que vous adapterez en fonction de votre tempérament :
– Limiter leur exposition aux nouvelles négatives
Les informations qu’on nous assène sont périssables, et vite remplacées par d’autres. Inutile de mettre les enfants au cœur de ce tourbillon incompréhensible. Ceci vaut également pour les nouvelles concernant votre travail ou vos proches. Bien sûr, on ne ment pas aux enfants. Ils ont besoin de savoir, mais il faut éviter de tout leur dire, tout le temps, et surtout sans recul. Temporisez.
– Quand vous ne savez pas, dites : « Je ne sais pas »
Notre âge et notre expérience sont censés faire de nous des super éducateurs et des super héros ? Ne les trompez pas avec des à-peu-près (auxquels ils ne croient pas de toute façon, ce qui augmente leur inquiétude). Quand une situation est transitoire, nouvelle ou à l’issue inconnue, mieux vaut le formuler clairement. Les enfants peuvent le comprendre. Et cela les autorise aussi à ne pas être parfaits. Tout le monde a des limites, personne n’est « tout-puissant ». Mais vous pouvez toujours ajouter que les choses vont s’arranger, qu’on réfléchit à des solutions… Soyez réaliste mais constructif.
– Restaurez ce que vous pouvez de confiance
Axez les choix, les conversations ou les activités sur ce qui est stable. Cela aide à les réconforter. Parlez de ce qui fait plaisir et du bien. Faites-les parler de ce qu’ils aiment.
– Prenez-les dans vos bras
C’est tout simple, mais cela reste la meilleure façon de communiquer à votre petit, comme à votre ado, votre présence, votre chaleur, votre force et votre soutien. L’étreinte libère de l’ocytocine – l’hormone de l’attachement, mais aussi des endorphines et de la sérotonine, propices au sentiment de bien-être (je vous renvoie ici à cet article sur les bienfaits des câlins). Ne vous privez pas !
– Partagez des jeux
Que ce soit des jeux de société ou des jeux dehors, vivez avec eux des moments d’insouciance, de légèreté, dans le lâcher-prise et la spontanéité, sans autre but que de s’amuser.
– Riez ensemble
C’est le moment de leur faire découvrir les films drôles que vous avez préféré dans votre enfance (pas Bambi, hein ?). Commentez avec eux les meilleurs gags. Ou bien partagez avec eux des vidéos qui vous arrachent des larmes de rire, ou encore essayez-vous en famille à l’humour, à l’auto-dérision, aux jeux de mots et autres joutes verbales… L’humour aide à manier le langage et à pratiquer la distance. Et ne dit-on pas que le rire est le propre de l’homme ? Autant y initier tôt les petits humains.
– Faites-vous aider d’un professionnel
Pour moi, c’est le recours quand tout le reste a échoué. Parents, vous avez des ressources et des compétences ! Ne courez pas directement chez le psy dès que votre enfant va mal, mais ayez quand même ce réflexe dès que le déséquilibre s’installe dans la durée. Un professionnel, qui a un regard extérieur, et une expertise, peut donner le petit coup de pouce qui manque. Il peut aussi aider à exprimer ce qui est bloqué ou difficilement partageable. Il met des mots sur les maux. Et parfois, c’est vous, parents, qui avez besoin d’être aidé, ne le négligez pas non plus.
Je terminerai avec une autre anecdote, mais familiale celle-ci. Ma grand-mère et ses frères étaient des enfants pendant la Deuxième Guerre mondiale. Sans avoir vécu de situations dramatiques, ils ont, comme beaucoup de Français, été déplacés, atterrissant tant bien que mal dans un village qu’ils ne connaissaient pas – et contraints de rentrer chez eux en cachette, en traversant la ligne de démarcation cachés dans des tonneaux de vin. Une épopée pour des petits, qui a duré vraisemblablement deux ans.
Un jour, ma grand-mère m’a dit : « Tu sais, même pendant la guerre, on était heureux ». Cette phrase m’accompagne souvent. Je sais ce qu’elle représente. Leurs parents ont toujours fait comme si tout allait bien, reconstituant autour d’eux la vie la plus normale que possible. Leurs grands-parents distillaient joie et insouciance, à force de cuisine réconfortante et de débrouillardise maison. La grand-mère de ma grand-mère fabriquait une limonade artisanale qui, aux dires de tous « moussait autant » que le savon qu’elle confectionnait également. Cette stabilité-là, c’est une force pour toute la vie.
Soyez aussi ces parents rassurants et drôles, les enfants en ont besoin.