Par Jean-Mathieu Thallinger, pasteur à Mulhouse

Un jour, un commerçant indien m’a expliqué ce qu’était le voyage. Il m’a dit : « J’ai deux types de clients : les touristes et les voyageurs. Le touriste part pour un temps limité, il a beaucoup d’argent et dépense sans vraiment compter ni négocier longuement, puis il rentre chez lui. Le voyageur, lui, s’acclimate au pays où il s’installe, il part pour longtemps, peut-être pour toujours, il fait attention à ce qu’il dépense car il connaît la valeur réelle des choses et n’a pas le filet de sécurité de savoir qu’il va bientôt s’en retourner chez lui. » 

 Mes ancêtres Ève et Adam Sapiens n’étaient pas de grands voyageurs, encore moins touristes. Ils ont mis entre 4 et 500 000 ans pour quitter leur berceau en Afrique et émigrer en Europe (suivant les sillons déjà tracés par grand-père Erectus deux millions d’années plus tôt). Ils mettront encore 50 000 ans pour traverser l’Atlantique et retrouver leurs ancêtres en Amérique (qui étaient passés par la Sibérie quinze mille ans plus tôt). Il ne leur faudra plus que 500 ans pour trouver moyen d’aller faire quelques jours de tourisme sur la lune.

Aujourd’hui, je peux faire facilement du tourisme en Afrique ou en Amérique qui n’est qu’à une demi-journée de vol. En une fraction de seconde, je peux visiter virtuellement le Machu Pichu avec Google Street View (je viens d’essayer). Mais c’est du tourisme : je ne ressentirai plus les émotions que vécurent Marco Polo, Magellan ou Livingstone. Pour voyager désormais, le nouvel horizon est la planète Mars.

Voyager, c’est dominer et dépasser deux peurs : celle de rompre avec son environnement familier et familial et celle d’entrer dans un monde inconnu.

N’est-ce pas la vocation de tout être humain ? Depuis les premiers pas de l’enfant vers l’âge d’un an devant lequel tous les parents s’extasient, tout en sachant qu’il emploiera un jour cette nouvelle capacité pour s’éloigner d’eux. C’est dur, mais c’est nécessaire. C’est en cela que les voyages forment la jeunesse et pas que la jeunesse d’ailleurs. Ils nous font grandir en nous apprenant à quitter pour devenir nous-mêmes et à dominer notre peur de l’inconnu.

La question du voyage est omniprésente dans la Bible : du fils prodigue qui voyagera opposé à son frère aîné qui s’y refusera, à la figure la plus accomplie du voyageur, et donc de l’humain, qu’est Abraham. La lettre aux Hébreux dira à ce propos : « C’est par la foi qu’Abraham, lors de sa vocation, obéit et partit, et qu’il partit sans savoir où il allait ».