Il n’avait pas passé le seuil de cette maison. Gérard était sorti faire des courses et sur le chemin du retour, pressant le pas pour être à l’heure, il avait croisé une dame entrevue au culte quelques jours auparavant. Un échange de mots anodins, mais il avait senti la nécessité de continuer un peu la route avec elle, conscient cependant du léger retard qu’il prenait. De fil en aiguille Gérard s’était retrouvé devant une maison, ému des mots qu’il entendait et ne sachant pas trop quoi répondre. Après une demi-heure passée au seuil de cette porte inconnue, il était de retour chez lui, très en retard et le cœur lourd, mais finalement heureux.

La disponibilité d’une rencontre

Écouter n’est pas simple, se dit-on parfois. Combien de personnes soucieuses d’autrui cherchent des conseils pour bien faire et répondre ce qu’il faut. Le réflexe est compréhensible au regard de la responsabilité de vouloir aider son prochain, car écouter est loin d’être neutre et peut tout aussi bien nuire qu’apaiser. Pourtant, même si elle a pu demander quelque chose ou un conseil, la personne rencontrée par Gérard n’attendait pas forcément une réponse claire, précise ou particulière. Elle attendait en revanche une attention, la disponibilité qu’il a su trouver, une occasion à vivre.

Entrer en relation, en conversation avec quelqu’un implique ainsi de ne pas vouloir apporter de solution à la question posée ou à la situation vécue, mais de cheminer ensemble, à l’image d’un Dieu qui se fait compagnon. L’essentiel pour la personne est avant tout de pouvoir confier à un autre ce qui est important pour elle.

Au seuil de la porte et des mots

L’autre est autre. Cette évidence implique qu’il ait son espace préservé, inconnu et secret. Même à l’occasion d’une conversation profonde, l’image du seuil est un symbole fort. C’est souvent à l’issue d’une conversation anodine, à la porte de l’aurevoir, que se disent les mots du seuil, ceux qui collent au cœur. L’inconfort de ce lieu de passage permet que tombent les barrières du quant-à-soi. Des mots et des ressentis se transfèrent alors d’un cœur à l’autre, sans que l’on sache très bien comment. Dans l’histoire des noces de Cana par exemple, les disciples écoutent Jésus sans savoir ce qui adviendra et l’eau se change en vin, ce qui peut se traduire par « la parole se change en vie ».

Le transfert d’un poids léger

Le ressenti particulier de Gérard de retour chez lui est un alliage de lourdeur et de bonheur, bien connu de quiconque a pu se rendre disponible à autrui. Étrangement, le poids de ce qui a été reçu, composé des mots et des sentiments de l’interlocuteur, est tout à fait perceptible dans le cœur de Gérard. Mais ce poids ne l’alourdit pas totalement et s’évaporera sous l’effet du bonheur de cette rencontre. Ce qui est ici en jeu, c’est la juste distance, celle qui permet de se sentir tout proche en fraternité tout en restant ancré dans sa propre vie. Il ne s’agit pas de se mettre à la place de l’autre mais de lui permettre, par les mots et la prière que l’on peut vivre en parallèle de la conversation, de confier une part de la charge qui l’habite. « Venez à moi et je vous soulagerai », disait Jésus. Ce témoignage de l’écoute est une autre manière d’assumer son statut image de Dieu devant le monde.

Plus qu’une technique, l’écoute est avant tout une attitude intérieure, une mise en disponibilité. Sans forcément répondre aux demandes, elle propose un espace qui permet l’expression et témoigne de ce Dieu qui a choisi l’être humain pour être son visage au cœur du monde.