J’ai pu déambuler dans la forêt de Ferrières (la forêt domaniale la plus proche de chez moi), où j’ai vécu tant de moments forts. Dans le livre qui raconte mon parcours méditatif de l’évangile de Marc (Paris / Compostelle), la plupart des méditations parisiennes se déroulent dans ce massif forestier. Je suis revenu saluer les chênes majestueux et la symphonie des chants d’oiseaux qui ont accompagné de nombreuses méditations « franciscaines » à l’écoute des mouvements de la nature.

La forêt était telle qu’en elle-même. Les fossés étaient remplis d’eau, après les chutes de pluie du week-end, et c’est assez habituel en cette saison. Il semble ne s’être rien passé de particulier pendant les deux mois d’absence des promeneurs. La nature a suivi son cours de manière imperturbable. J’ai raté l’éclosion des bourgeons, l’apparition des premières feuilles vert pâle, les chatons des saules, les fleurs des érables. Mais j’ai retrouvé la nature comme elle est, la plupart du temps, au mois de mai. Comme d’habitude, lorsque je suis immergé dans un environnement végétal de vaste ampleur, je suis ramené immédiatement à une échelle bien modeste. Mes préoccupations de bipède ne troublent en rien l’évolution des chênes centenaires. Ici ou là, on voit des traces de sangliers, mais elles ne sont pas non plus spécialement plus nombreuses que d’habitude. Dans des lieux très artificialisés on a remarqué, parfois, que la nature a « repris ses droits » pendant le retrait de l’activité humaine. Ici, la nature a ses droits et elle poursuit sa voie. Peut-être un technicien de l’Office National des Forêts aura-t-il remarqué quelque chose de particulier. Pour ma part je ne vois rien de décisif.

Méditation sur la simplicité

Je l’ai dit : la lecture de l’évangile, ou d’un texte biblique, mêlée à l’environnement forestier, m’a souvent conduit à revenir à une simplicité de type franciscain. Quand je suis pris dans un ensemble d’enjeux, quand je suis encombré de trop de préoccupations, quand j’ai perdu le fil du sens de ce que je fais, j’ai l’occasion de poser les choses, de lâcher prise et de revenir à des priorités plus solides. Souvent je repense à cette exhortation qui sert de socle à plusieurs communautés religieuses protestantes : « Prie et travaille pour qu’Il règne. Que dans ta journée labeur et repos soient vivifiés par la Parole de Dieu. Maintiens en tout le silence intérieur pour demeurer en Christ. Pénètre-toi de l’Esprit des Béatitudes : joie simplicité, miséricorde ». J’ai, en effet, tendance à me compliquer la vie ; et la simplicité, pour moi, est toujours une conquête.

Tout en marchant dans ces allées, je repense, donc, à ces nombreux ressourcements que j’y ai vécus. Or, au bout d’un moment, je m’avise d’une chose plutôt étonnante : aujourd’hui, je suis directement en harmonie avec cette simplicité et je n’ai pas spécialement de « purge » à accomplir. Pourtant, les préoccupations et les frustrations n’ont pas manqué pendant ces jours et elles sont loin de s’être évaporées. Mais je m’aperçois qu’il s’est passé quelque chose. Et cela me fait penser à un passage un peu hardi des Fioretti, où François d’Assise disserte sur la joie parfaite. Je n’ose pas en reproduire l’intégralité à cause du caractère provoquant du passage (que vous trouverez, néanmoins, facilement sur Internet). Je restitue simplement ce qui me rejoint, aujourd’hui. François discute avec Léon et lui dit qu’il pourrait se réjouir du succès de son ordre, voire du succès de sa mission, mais que ce n’est pas la vraie joie. Il imagine plutôt une scène où, un jour de froid, il frappe à la porte de son propre monastère et où on refuse de l’accueillir parce qu’il est trop tard. Il a beau supplier, invoquer l’amour de Dieu, il reste dehors. Eh bien, dit-il, « si je garde patience et ne suis pas ébranlé, en cela est la vraie joie« .

On peut mal comprendre ce passage et le prendre comme un encouragement à la résignation. Ce n’était certainement pas le propos de François, homme plutôt décidé dans ses projets. Pour moi la pointe est ailleurs : si je me heurte à toutes sortes d’obstacles et que je me rend compte que quelque chose en moi résiste et n’est pas ébranlé, il y a là le noyau d’une joie qui demeure. Et je « relis », alors, les deux mois que je viens de passer à me heurter à toutes sortes de limites (j’ai déjà dit que j’ai été beaucoup moins limité que d’autres, à cette occasion). Je me rend compte, tout d’un coup, qu’au fil des jours, un espace s’est dessiné en moi qui m’a permis d’accéder à la patience et qui n’a pratiquement pas été ébranlé. Et, effectivement, au milieu de tant d’événements malheureux, il y a là la source d’une joie particulière, qui soudain me submerge et me transporte.

La vraie contemplation

Je continue, alors que je reviens vers ma voiture, à suivre le fil de documents émanant de communautés monastiques, tout en poursuivant mes méditations sur la simplicité. Je me suis nourri, pendant ces deux mois, de la lecture, fragment par fragment, du commentaire de la règle des diaconesses de Reuilly (Soyez le ciel pour vos contemporains, paru chez Olivétan). J’y ai trouvé, notamment, un commentaire lumineux de l’épisode de Marthe et Marie (Lc 10.38-42) qui a si souvent servi, au fil de l’histoire, à disqualifier la vie active (l’opposition Marie / Marthe étant supposée rejoindre l’opposition contemplation / action). Or l’enjeu n’est pas de tourner le dos à la vie active, mais de prendre pied dans l’action avec simplicité. Et c’est le propos de ce commentaire, qui souligne, non pas l’activité de Marthe, mais son souci et son inquiétude.

Voilà ce que cela donne :
Le contraire de la contemplation ce n’est pas l’action, mais le souci qui étouffe la Parole et appesantit l’intelligence. La contemplation est un sabbat du cœur, un repos profond, une non-préoccupation, un accès vers la liberté intérieure. Elle ne consiste pas à ne rien faire, mais à faire toute chose devant Celui qui appelle à être ce qui n’est pas (p. 93).

Là je m’incline : difficile d’ajouter quelque chose à ces paroles sublimes.
On m’a dit, à l’occasion, que la foi mennonite, que je revendique, correspondait à un monastère sans les murs. Sur cette base là, je suis d’accord.