Les femmes au foyer travaillent-elles ? Ce vieux débat a toujours secoué des générations, dès lors qu’une femme a comme activité principale l’éducation des enfants et l’entretien du foyer. En écrivant cette phrase, je pèse moi-même mes mots pour tenter de décrire cette situation pourtant simple. Est-ce que ces femmes « rentrent au foyer » (ce qui supposerait qu’elles en soient sorties ou aient été en quelque sorte libérées) ? Est-ce qu’elles choisissent « d’arrêter de travailler » (ce qui induirait qu’élever ses enfants n’est pas un métier, puisqu’il n’est pas rémunéré) ? Est-ce qu’elles « sacrifient leur carrière » (ce qui évoquerait un sentiment d’abnégation) ? Est-ce que c’est une option transitoire ou définitive totalement assumée (sous-entendant une revendication) ?

Ce débat semble établir une dichotomie entre femmes au foyer et femmes qui ont une activité professionnelle, alors qu’en France, cette question s’est réglée sur un moyen terme : depuis au moins deux générations, la plupart des femmes combinent assez adroitement carrière professionnelle, éducation de leurs enfants et soin du foyer, même si elles paient un lourd tribut à la charge mentale.

La vie familiale est encore l’affaire des femmes

Il pèse sur toute femme qui a une activité rémunérée et une carrière, une culpabilité latente quand les enfants paraissent. Des décennies de féminisme et de combats pour l’égalité entre hommes et femmes ne gomment jamais tout à fait cette responsabilité qui semble incomber aux mères de prendre principalement soin de leur progéniture – dans un dilemme cornélien entre réussite professionnelle et attention portée à la famille. Les pères et conjoints sont rarement incriminés dans ce débat, et même les plus progressistes parviennent difficilement à répartition équitable du temps domestique avec leur conjointe.

Être, ou (re)devenir une femme au foyer est un concept réactionnaire pour certains, indispensable pour d’autres, sur fond d’idées natalistes et conservatrices qui paraissent parfois d’un autre temps, et qui résonnent dangereusement.

Faire l’apologie de la mère au foyer pour le bienfait de ses enfants – mais surtout de la société, comme un rempart à la délinquance – est un argument politique dont se sont emparés tous les partis conservateurs, qui proposent un salaire maternel pour le rendre motivant. La perspective d’un « réarmement démographique », récemment évoqué par le président de la République a suscité une levée de boucliers. En France, les femmes ne peuvent être réduites à un rôle de génitrices !

Dans notre pays, les femmes constituent 49% de la population active des 15/64 ans, mais elles doivent encore se confronter au plafond de verre, à l’inégalité de leur rémunération et à la difficulté à équilibrer vie professionnelle et vie privée. Prendre un congé parental est un choix qui peut s’assumer, mais dont on comprend vite qu’il ne doit pas être maintenu trop longtemps, si on ne veut pas mettre en danger son évolution professionnelle – et son indépendance financière. Ces années-là se comptent en déficit pécunier au moment de la retraite, quand on sait que la pension de retraite d’une femme sera en moyenne inférieure de 39% à celle d’un homme.

Desesperate tradwives ?

Dans ce contexte, il est sidérant de voir émerger aux Etats-Unis le mouvement des tradwives.

Ces femmes, souvent très jeunes, revendiquent le choix de mettre leur vie entière au service de la personne la plus importante dans leur existence : leur époux, et, le cas échéant, leurs enfants. Un mouvement apparu concomitamment à la présidence Trump, assumé et largement affiché sur les réseaux sociaux, TikTok en tête.

Cette idéologie se positionne clairement comme une réponse au féminisme, qui aurait détourné les femmes de leur véritable rôle, et surtout ne les rendrait pas heureuses. Les tradwives affirment avoir ainsi donné un sens à leur existence. Elles dressent un tableau aussi idéalisé que caricatural et, il faut bien le dire, horripilant de la « mission de vie d’une épouse ».

Ces femmes donnent non seulement l’essentiel de leur temps à leurs proches, mais elles revendiquent d’être à leur service, de placer les autres en premier – leur bien-être ou leur plaisir au détriment du leur.

La tradwife, à la fois femme de ménage, cuisinière, décoratrice d’intérieur, hôtesse….

Une négation de leur identité. A la fois agent d’entretien, cuisinière, décoratrice d’intérieur, hôtesse, et bien sûr partenaire sexuelle accorte et soumise, la tradwife est sur tous les fronts du foyer et met la perfection au cœur de toutes ses actions. Elle porte une attention particulière à son apparence physique pour qu’elle soit la plus soignée (entendez « féminine ») possible, sa silhouette est travaillée à coup d’heures de sport, elle surveille son alimentation et affiche une coiffure apprêtée et un maquillage des plus sophistiqués, pour rester en toute circonstances séduisante.

Sur leurs comptes, les tradwives se répandent en conseils pour leurs contemporaines : ménage, cuisine, lessive, couture, jardinage et autres petits trucs pour satisfaire le mâle alpha qui travaille durement pour subvenir aux besoins de sa famille – et ce, dès qu’il franchit le seuil du foyer.
Pour vous faire une idée, allez jeter un œil sur les vidéos de Estee Williams (qui compte plus de 140 000 followers) ou le site de la française Hanna Gas, sorte de Nadine de Rothschild des années 2020.

Au pays d’Olympe de Gouge, de Simone de Beauvoir ou de Simone Veil, ces positions font s’étrangler les féministes canal historique comme les néo-féministes. Et aussi, de nombreux hommes.

La vraie question est de savoir si cette attitude véhiculée par un réseau friand en images est une provocation ou un réel mode de vie.

Les tradwives sont-elles les déçues du système économique ou d’un monde du travail dans lequel elles n’ont pu se réaliser ? Déclassées, elles trouveraient dans ce retour à la maison une réussite à leur portée. Certaines tradwives produisent des vidéos très léchées, elles ont une communauté faite d’admirateurs autant que de détracteurs, et au final font le buzz. D’autres proposent à leurs adeptes des ateliers et des cours en ligne – payants bien sûr. Pour les plus célèbres, leurs comptes génèrent des revenus conséquents – un business comme un autre, au final, qu’elles gèrent comme une petite entreprise. La tradwife-life qui génère une indépendance financière, voilà bien le paradoxe !