Au cours d’un déjeuner qui s’éternise ou quand se présente une attente trop longue, qui n’a jamais cédé à la facilité de glisser un téléphone entre les mains de son enfant, pour avoir la paix pendant de longues minutes ? Il ne faut souvent pas trop insister car les écrans captivent les enfants. Mais tout le monde sait à présent qu’ils altèrent aussi leur développement dans de nombreux domaines. Des raisons suffisantes pour s’efforcer de les remplacer le plus souvent et le plus tôt possible.
Les écrans et leurs impacts
L’exposition prolongée aux écrans interfère sur plusieurs aspects du développement d’un enfant. Sur le plan cognitif, l’usage des écrans peut entraver l’acquisition du langage, particulièrement chez les tout-petits. Un enfant qui passe des heures devant un écran est non seulement mutique, mais il est privé d’échanges verbaux avec son entourage, pourtant essentiels à son élocution et la constitution de son vocabulaire.
Les capacités d’attention et de concentration sont sans doute les plus affectées. Les enseignants constatent une dégradation significative de la concentration chez les plus jeunes. En cause, les contenus numériques, avec leurs stimuli incessants et rapides, qui sollicitent le cerveau à un rythme qui ne correspond pas à celui du monde réel. Un enfant habitué à l’immédiateté de l’écran peut aussi éprouver des difficultés à rester focalisé sur une tâche qui demande patience et persévérance.
Sur le plan physique, le pire ennemi, c’est la sédentarité. On l’estime responsable de problèmes qui arrivent de plus en plus tôt : surpoids, troubles du sommeil, mal de dos, fatigue oculaire… Le sommeil est particulièrement perturbé par la lumière bleue émise par les écrans, qui interfère avec la production de mélatonine.
Enfin, pour ce qui est du développement émotionnel, il peut être perturbé par l’isolement. Un enfant ou un adolescent qui n’est en face-à-face qu’avec un écran ou perpétuellement immergé dans un monde virtuel fictif échappe aux interactions réelles. Or ces échanges « dans la vraie vie » sont indispensables pour apprendre la relation à l’autre, développer l’empathie, et gérer ses émotions.
Ces impacts sont d’autant plus important si le recours fréquent aux écrans est précoce. Le psychiatre Serge Tisseron a pour cela édicté la règle 3-6-9-12 à destination des parents :
- avant 3 ans : pas d’écran. Les trois premières années sont fondamentales pour le développement cérébral. L’enfant doit découvrir le monde par lui-même avec ses sens, renforcer sa motricité, construire son langage. Les écrans ne peuvent interférer sur ces premières expériences essentielles.
- avant 6 ans : pas de console de jeu personnelle. Entre 3 et 6 ans, l’enfant construit sa relation au réel et à l’imaginaire. C’est l’âge du rêve, de l’imagination débordante et du jeu symbolique où un carton devient un vaisseau spatial. Les écrans peuvent être introduits de manière très limitée et toujours accompagnée.
- avant 9 ans : pas d’Internet seul. L’accès à Internet doit rester strictement encadré. Un enfant de cet âge n’a pas la maturité nécessaire pour naviguer seul sur le web ou discerner les contenus appropriés.
- avant 12 ans : pas de réseaux sociaux. Les enfants sont particulièrement vulnérables aux pressions sociales et au cyberharcèlement. Ils n’ont pas encore développé le recul critique nécessaire pour sécuriser leur présence numérique.
Ces préconisations datent de 2008 et on réalise que ces deux derniers paliers pourraient même être revus à la hausse, à l’image des nombreux gouvernements qui veulent généraliser l’interdiction des réseaux sociaux avant 16 ans.
Quelles alternatives ?
Lutter contre l’abus ou le recours systématique aux écrans, c’est bien, mais susciter des activités différentes est encore mieux – surtout si ces dernières favorisent les compétences et la sociabilité des enfants. Et là, il va falloir faire preuve d’imagination, et même provoquer un effet d’entraînement.
Les activités créatives
Le dessin, la peinture, la pâte à modeler sont des classiques indétrônables pour stimuler la créativité et améliorer la motricité fine. Pourquoi ne pas garder un mini carnet de coloriage et quelques crayons dans votre sac, à dégainer toutes les fois où vous avez besoin que votre fils ou votre fille reste un peu tranquille ? A la maison, on peut encourager les activités de collage et de découpage, qui mettent aussi en jeu l’habileté à récupérer et transformer magazines ou catalogues publicitaires pour en faire de véritables merveilles. On se lance dans tout ce qui permet de construire et d’inventer des univers : Lego, Playmobils, Kapla… Les ados pourront se lancer facilement dans le pliage d’origami, la confection de bracelets brésiliens, le crochet ou les maquettes…
Les jeux de société
C’est sans doute l’occupation pour laquelle les parents peinent le plus à donner de leur personne. On peut donc privilégier des jeux à partie courte, ou demandant peu de place : cartes, dominos, memory… Pour les collégiens on peut aller vers des jeux de stratégie complexes ou des jeux de rôle. Une partie de Donjons & Dragons le dimanche peut devenir un rituel attendu par les plus jeunes comme par les plus grands.
La lecture
Elle est la voie royale pour développer l’imagination, enrichir le vocabulaire et améliorer la concentration, mais aussi l’orthographe. Mais elle est aussi l’activité la plus délaissée par les enfants. Les parents doivent donc s’investir et ne rien lâcher, pour que la lecture reste un loisir salvateur et apprécié. Avec les tout-petits, la lecture d’une histoire chaque soir est un rituel de complicité irremplaçable, qui leur donne très tôt le goût pour les récits. Dès que l’enfant peut lire seul, laissez-le choisir ses livres, mais surtout accompagnez-le à la bibliothèque, pour lui en donner l’habitude, comme une évidence. A la maison, créez un coin lecture cocooning, où tout le monde peut s’installer dans le calme. Montrez l’exemple en lisant vous-même. Avec les ados, proposez des challenges de lecture : 20 pages par jour, un livre par semaine… avec l’obligation de partager ses découvertes.
Les activités physiques
Les enfants ont un besoin vital de mouvement. Or, les longues heures passées à l’école renforcent la sédentarité. Qui plus est, moins on bouge et moins on a envie de bouger. Avec tous les âges, les activités en extérieur sont les plus bénéfiques : courir au parc, grimper, faire du toboggan ou du trampoline, sauter à la corde, ramasser des marrons ou des glands, chercher des insectes… À la maison, créez des parcours d’obstacles, des jeux d’équilibre, organisez des chasses au trésor. Et le week-end on s’accorde une sortie à vélo en famille.
Les activités scientifiques
Les expériences scientifiques simples fascinent les enfants : faire un volcan avec du bicarbonate, créer des cristaux, observer des insectes… Pour cela, on peut trouver des exemples sur des comptes Instagram comme @lescogiteurs ou @curiokids_sciences4all. On peut aussi se lancer dans des collections : cailloux, feuilles, coquillages…
Les coups de main à la maison
On l’oublie trop souvent, mais un enfant ou un ado qui s’ennuie peut aussi aider aux tâches domestiques, si on réussit à en faire un jeu. Oui, ça demande de l’imagination et de la persévérance ! En cuisine, même les petits peuvent laver les légumes, mélanger la pâte, décorer les gâteaux. Le jardinage (même sur le balcon ou le rebord de la fenêtre) enseigne la patience : planter des graines, les arroser, observer leur croissance… Les tâches ménagères adaptées à l’âge donnent aux enfants le sentiment d’être utiles : ranger leurs jouets, mettre la table, plier le linge… Et bien sûr, on les valorise et on les encourage en permanence pour leur sens du collectif !
Si ces activités ne sont que quelques exemples parmi des dizaines de possibilités, le plus difficile est parfois de gérer la phase de déconnection.
Comment réussir la transition ?
– On se lance par petites touches et avec cohérence. Ne changez pas tout brutalement. Réduisez progressivement le temps d’écran. Établissez des règles claires (affichez-les dans le salon) et tenez-vous-y systématiquement, pour toute la famille.
– Montrez l’exemple. Les enfants nous imitent plus qu’ils ne nous écoutent. Ils vous voient scroller en permanence. Si vous passez vos soirées sur votre smartphone, il sera difficile de convaincre votre enfant de lire. Partagez donc ces activités alternatives : lisez ensemble, faites un puzzle à plusieurs, jardinez côte à côte…
– Créer un environnement propice. Aménagez un coin lecture confortable, une table pour les activités manuelles, un espace de jeu bien rangé. Rendez les écrans moins accessibles : ne laissez pas traîner de tablettes, créez des espaces sans écrans, faites une boîte où chacun dépose pendant un temps son téléphone…
– Anticipez l’ennui. L’ennui n’est pas l’ennemi, car c’est de l’ennui que naissent les jeux imaginaires et les idées créatives les plus fabuleux. Si votre enfant s’ennuie, résistez à la tentation du recours immédiat à l’écran. Suggérez des activités, mais laissez-lui l’espace de trouver lui-même comment s’occuper.
– Valorisez et encouragez. Montrez de l’intérêt pour les activités non-numériques : admirez ses dessins, applaudissez à ses constructions, goûtez ses gâteaux, écoutez ses histoires… Cette reconnaissance positive renforce son envie de poursuivre ces activités.
Réduire le temps d’écran peut être une lutte, mais c’est un investissement inestimable. Les heures passées à jouer, créer, lire, bouger et explorer construisent des compétences essentielles : créativité, patience, concentration, autonomie, curiosité… Ce sont des heures qui créent des souvenirs et renforcent les liens familiaux.
Les écrans ne sont pas des ennemis à bannir totalement, mais ils ne doivent pas devenir la réponse par défaut à chaque moment libre. En proposant des alternatives intéressantes, en accompagnant nos enfants dans leurs découvertes, nous leur offrons les outils pour devenir plus tard des adultes créatifs, curieux et autonomes.