Katia Chapoutier est journaliste, elle a réalisé plusieurs documentaires où la famille tient une place importante. Elle a publié au printemps dernier « Frères et sœurs de pouvoirs », un ouvrage passionnant qui s’intéresse aux fratries célèbres – comportant une, voire plusieurs personnalités « connues ». Au détour des pages, on cherche bien évidemment l’anecdote, le secret ou encore la révélation. Mais à vrai dire, c’est surtout la justesse de ces fratries qui nous touche.
Que l’on parle de l’importante fratrie Leclerc (Julien Clerc, Gilles Leclerc), des frères Poivre d’Arvor et leur plus discrète sœur Catherine, des sœurs Bruni ou bien encore des Léotard (Philippe, François et les autres) ces fratries parlent des nôtres : celles d’où nous venons et celles que nous avons créées – avec leurs anecdotes et leurs règles.
Complices ou rivaux, soudés ou en compétition, heureux ou jaloux, ces frères et sœurs nous ressemblent.
Cet été, la dessinatrice Soledad Bravi (qui enchante les pages du magazine ELLE de ses personnages longilignes) a croqué sur son compte Instagram quelques moments de son enfance. Flanquée de deux plus grands frères tantôt bagarreurs, imprudents ou menteurs, la petite sœur candide revisite ces saynètes d’enfance pleine de tendresse, où elle fait tantôt office de spectatrice, de complice ou de victime. Un tabac sur la Toile, où des centaines de commentaires sont venus lui confirmer que « nous aussi, on nous tirait les couettes – ou la queue de cheval »… Et fait naître des sourires à chaque croquis, tant l’on se reconnaît…
Toutes ces histoires de fratrie racontent les rapports avec ces pairs si proches de nous. Elles montrent que si les liens du sang existent, ils ne sont pas automatiquement forts et les affinités ne sont pas certaines – ni durables. Et que l’on peut se permettre davantage avec son frère ou sa sœur qu’avec qui que ce soit d’autre : complicité, amour, fusion, serments, rivalité, trahison, alliances…. on oscille entre la Comedia del arte et la tragédie grecque.
De sa famille proche on accepte tout, mais on ne pardonne rien…
Certains parcours terribles, certaines épreuves de vie familiale sont dépassés par la cohésion d’une fratrie résiliente dans l’adversité, mais ça n’est pas toujours le cas – ou bien il arrive qu’il y en ait un qui reste sur le bord du chemin.
Derrière ces fratries se dessine aussi l’histoire des parents : la manière dont ils ont positionné leur couple (parfois si exclusif que les enfants en sont exclus), la place que chacun donne à chaque enfant (avec, quelquefois des préférences ou des injustices), leur tendance à la comparaison, l’éducation qu’ils transmettent, le « projet familial » – qui conditionnent aussi les rapports entre les enfants.
En tant que parent, cela m’a aussi fait beaucoup réfléchir sur ce qui n’est finalement qu’une utopie : vouloir que nos enfants se ressemblent, qu’ils soient similaires et solidaires, comme des meilleurs amis sur lesquels on peut compter, quoi qu’il arrive. C’est un rêve de parent, qui ne se décide pas. La réalité est toute autre. On aime ses enfants différemment, et ils sont libres de bien s’aimer, de s’entendre – ou pas.
Avoir un frère ou une sœur, c’est une rencontre qui ne va pas forcément de soi. Partager un même patrimoine génétique, ou une enfance jalonnée de souvenirs en commun ne suffisent pas.
La bonne nouvelle est sans doute que tout cela évolue aussi avec le temps – en bien comme en mal. Les notaires peuvent témoigner que les conflits fraternels non résolus dans l’enfance, les préférences jalousées, les rancœurs rentrées donnent lieu à des règlements de compte successoraux sanglants. Jusqu’à des bagarres pour un objet apparemment anodin. Comme si la Loi devait réparer l’affront fait à l’amour. Bien s’entendre avec son frère ou sa sœur, ou au minimum s’apprécier est un parcours fait d’évolutions, de maturité et parfois de bonnes surprises : retrouvailles ou pardon. Pensez-y à l’occasion des prochaines fêtes de famille !
– Katia Chapoutier, Frères et sœurs de pouvoir, Alisio, 2019
– Soledad Bravi sur Instagram @soledadbravi