Mercredi dernier, j’ai dû remplacer la directrice du centre de loisirs pour l’animation du groupe des maternelles : les Gribouilles. Retour à mes amours de jeunesse, du temps des louveteaux et du BAFA. J’ai été saisi par la vitalité de ces petites graines en devenir, mais également par les inégalités de leur développement. Au même âge, leur maturité affective, leurs capacités motrices ou leur maîtrise du langage sont particulièrement inégales. Cela vient bien sûr de leur éducation, mais également de l’environnement dans lequel ils ont grandi, marqué par de profondes inégalités.
En relisant la parabole du semeur de l’Évangile (Marc 4, 1-9), on pourrait dire que certains ont été laissés sur le bord du chemin ; ils n’ont pas les repères qui permettent de canaliser leur énergie. D’autres n’ont pas reçu toute l’attention nécessaire à leur développement ; ils s’ennuient vite, leur attention est comme asséchée. D’autres enfin sont paralysés par la présence d’adultes, qui se veulent bienveillants, mais qui, par manque de confiance ou culpabilité, étouffent ces jeunes pousses ; ils sont craintifs et n’osent pas exprimer leur créativité. D’autres heureusement, sont travaillés par l’attention et surtout l’affection de leurs proches et ont déjà une imagination féconde.
« Nous sommes fondamentalement des êtres libres. Encore faut-il rencontrer la bonne personne pour nous le dire au bon moment«
Cette présentation est un peu caricaturale et heureusement, les enfants passent généralement d’un terrain à un autre ; mais surtout, comme dans la parabole, le Semeur sème sa parole à tous et de la même manière. Tous les adultes qui entourent ces enfants (leurs parents, les animateurs, professeurs ou même voisins) participent à leur éducation et leur émancipation par leurs paroles et leur comportement.
Qu’est-ce qui permet à un enfant de grandir ? Que puis-je faire pour l’aider ? Cette question, tous les parents, animateurs et professeurs se la sont posée !
En hébreu, le mot « élever » se dit holocauste, avec cette dimension explicite au sacrifice. Comment élever mon fils sans le sacrifier et qu’il devienne un homme libre ? C’est la cruelle expérience qu’a faite Abraham. Sur le chemin de l’éveil, le pédagogue apprend à perdre ses certitudes pour se mettre à l’écoute de l’autre. À son tour, il apprend à faire confiance et à jeter ses graines sans chercher à tout maîtriser. C’est ainsi qu’on fait des hommes et des femmes libres.
À ce sujet, j’ai trouvé éclairant le commentaire, d’un récit hassidique, fait par un bénévole de la Frat’ : ‘’Un jeune homme avait l’esprit ravagé par un fatras d’images et de tentations. Il n’en pouvait plus. Il s’en alla consulter un tsaddik [maître religieux], le premier tsaddik qu’il put trouver. ‘Je ne peux rien pour toi. Va voir Shlomo de Karlin’ [lui répondit celui-ci]. Suivant les conseils du premier, le garçon partit consulter Shlomo de Karlin. Il arriva au moment même où ce sage allumait les lumières d’Hannouca. Rabbi Shlomo chantait les psaumes. Il en était à ‘Et il nous délivrera du joug de nos oppresseurs.’ C’est alors qu’il se tourna soudain vers son visiteur et lui demanda : ‘Crois-tu vraiment que Dieu puisse nous délivrer de nos tourments ?’ ‘Oui !’ répondit le jeune homme et il fut délivré ! «
Et notre bénévole de commenter : « ce récit nous indique comment utiliser les services d’un tsaddik, ou d’un psychologue. Premier conseil, adressez-vous au bon (il n’est pas impossible que ce soit le mauvais qui vous le recommande), deuxième conseil : tâchez d’arriver au moment propice, celui où son esprit, quelquefois éteint par la fréquentation des âmes malades, retrouve sa lumière ; écoutez et approuvez ce qu’il dit et ne s’adresse pas en principe à vous. Ces considérations thérapeutiques mises à part, ce récit nous signale que nous sommes fondamentalement des êtres libres. Encore faut-il rencontrer la bonne personne pour nous le dire au bon moment.«
Puissions-nous être de temps en temps ces bonnes personnes qui sèment la parole abondamment et avec confiance.
Pierre-Olivier Dolino, Pasteur de la Mission Populaire à la Fraternité de la Belle de Mai – Marseille