Loin de moi l’idée de propager inutilement des anglicismes. Toutefois, le concept de safe place est devenu tellement universel que ce terme recouvre désormais une réalité que tout le monde peut comprendre, où que l’on se trouve. Safe place – ou « endroit sûr » désigne un environnement dans lequel on se sent totalement en sécurité. Drôle d’idée, me direz-vous peut-être ? Pourquoi aurions-nous des raisons de nous sentir menacés, quand la majorité d’entre nous vit dans des lieux sécurisés, que ce soit leur foyer ou leur lieu de travail… ?
Hélas aujourd’hui, tout n’est pas si simple, et la notion de sécurité ne se résume pas à une porte qui ferme à clef, ni une fenêtre bien isolée ou des voisins paisibles. La pression, le harcèlement, la peur du jugement des autres ou la crainte de discriminations sont des réalités qui peuvent survenir n’importe où.
Une safe place pour soi
Dans un lieu de vie où cohabitent plusieurs personnes, la safe place est en premier lieu l’endroit où chacune d’entre elles peut s’installer pour gouter à un moment de calme, sans être dérangée.
Il ne s’agit pas seulement de s’enfermer dans sa chambre pour une petite sieste, mais surtout de pouvoir mener, dans un lieu où on se sent en confiance, une activité que l’on apprécie, sans jugement, ni être interrompu. Ce concept fait penser au livre de Virginia Woolf, « Une chambre à soi », qui conditionne la liberté des femmes écrivains – et des femmes en général – sur la possibilité de disposer d’un endroit vraiment à elles, où exprimer sans jugements ni contraintes leurs passions, comme celle de l’écriture. Aujourd’hui, ce serait la possibilité pour une mère de famille de se retirer dans un lieu calme, pour prendre du temps vraiment pour elle, sans être sollicitée en permanence par les autres. Un exploit !
On peut instaurer une safe place chez soi, en aménageant un coin de son lieu de vie de manière confortable, en exigeant de l’entourage de ne pas y être dérangé – au moins pour un temps défini, et en privilégiant dans cet environnement des activités silencieuses et/ou agréables, sans aucune prise à la critique de l’extérieur. Eteindre son téléphone et se couper pour un temps des sollicitations extérieures dans de tels moments de qualité « de soi à soi » paraît indispensable.
Un concept gigogne
Mais la safe place est bien plus que cela. Par extension, elle désigne non seulement un lieu individuel, mais aussi un espace-temps qui peut être proposé à des personnes appartenant à des communautés marginalisées ou discriminées, pour se retrouver en toute quiétude, sans jugements ni risque d’être menacées ou attaquées.
Là, elles se sentent en confiance, acceptées et respectées telles qu’elles sont. C’est ce que proposent de nombreuses associations qui accueillent ou écoutent des femmes isolées ou victimes de violences, des homosexuels, des personnes LGBT… On en a un bon exemple avec les tentes rouges, où des femmes peuvent se retrouver sans diktats, pression, ni jugement. En revanche, l’idée de proposer les bars-tabac comme safe place pour les femmes victimes de violences conjugales, à l’initiative de FDJ, n’a pas reçu l’accueil escompté, au motif que ces endroits ne présentaient pas un caractère systématiquement sûr pour les femmes.
Au travail, la safe place réside dans la volonté de créer un environnement professionnel inclusif et bienveillant, favorisant l’égalité.
Cette volonté peut se concrétiser également au collège, au lycée, à l’université. Une safe place trouvera aussi sa place dans l’enceinte d’un festival, d’un salon, d’un concert…
La safe place peut également être un concept plus abstrait, désignant plus globalement un état d’esprit ou une atmosphère créés par des relations de confiance et de soutien mutuel entre personnes.
Car les médias et les réseaux sociaux véhiculent tant de violence et de haine parfois qu’il est difficile de se sentir bien dans ces interactions. Dans ce sens, une safe place peut être trouvée dans le cadre d’une discussion, d’un groupe en ligne ou même d’une communauté virtuelle où les individus se sentent totalement libres d’exprimer leurs opinions et leurs émotions sans crainte de jugement ni de représailles.
La safe place offre un environnement de calme et de répit qui permet de reprendre de l’énergie et confiance en soi, sans pour autant se substituer aux lieux d’accueil aux victimes, ni en faire des ghettos.