2020 est une année qui ne ressemble à aucune autre, et dont on découvre les effets sur nous au fur et à mesure de l’évolution des événements inédits qui la traversent. Si la santé physique est l’objet de toutes les attentions, la santé psychologique et émotionnelle ne devraient pas être en reste. Or en ce début d’automne, ce sont bien tous les critères du burn-out qui pointent.
Depuis le printemps 2020, et l’apparition de la pandémie, notre santé somatique a mobilisé toute l’attention des pouvoirs publics, un peu partout dans le monde. Tout est mis en place en tout cas pour la préserver, à tous les âges de la vie. Mais qui s’inquiète de notre santé psychologique et émotionnelle ? Des aspects de notre santé de plus en plus lourdement impactés, et qui ont déjà connu deux vagues. Et la troisième monte en puissance depuis la rentrée.
Notre bien-être par trois fois entamé
Ceux qui sont fidèles à ce blog (et je les en remercie) savent que je suis sophrologue. En tant que thérapeute, je n’ai jamais cessé d’accompagner les personnes qui me consultent, à mon cabinet – ou à distance en visioconsultation pendant le confinement. Une période pendant laquelle j’ai énormément travaillé.
Dès le début du confinement – sidérant et brutal – de nombreuses personnes ont vu monter en flèche leur niveau d’anxiété. Une réaction que l’on peut considérer comme légitime (pour ne pas dire, parfaitement adaptée), et qui était directement corrélée à la menace (qui plus est, invisible) qui s’était abattue sur nous. Pour autant, j’ai pu constater qu’au bout de quelques semaines, cette anxiété était relativement redescendue chez la plupart des gens, finalement rassérénés par la sécurité de leurs foyers. Si on excepte la tension du télétravail combinée à l’attention nécessaire pour la bonne marche de la famille, les choses ont dans un deuxième temps été plutôt bien vécue.
Ce constat ne s’applique pas, bien entendu, aux soignants ni aux personnels qui se sont trouvés en première ligne – et encore moins aux personnes âgées forcées à la réclusion, et pour lesquelles le lien social a été durement entamé. Une certaine sérénité a pu s’installer chez beaucoup, qui ont vu cette bulle comme un retour chez soi – et un retour à soi.
Le déconfinement a marqué une deuxième vague d’incertitudes. Tout en étant convaincus que la menace était toujours présente, il fallu sortir de chez nous (quitter la grotte) et l’affronter à l’extérieur de nos maisons – et retourner à la vie courante. Dans cette deuxième vague, c’est le stress psychologique (et toutes ses conséquences physiques) qui a prédominé : non seulement l’instinct de survie nous dictait plus ou moins consciemment de rester vigilants, mais, au travail notamment, il fallait rattraper le temps perdu. La peur de ne pas y arriver a largement dominé dans cette période. Pour certains, ce stress a commencé à questionner l’avenir de leur travail : l’activité économique qui assure leurs revenus allait-elle perdurer ?
Nous étions de nombreux thérapeutes à penser que l’été allait être favorable aux vacances, à la récupération, au repos, à la reprise des liens sociaux indispensables et tant attendus (notamment avec ceux de nos proches qui nous avaient le plus manqué – en premier lieu notre famille).
Or, quelle n’a pas été ma surprise de retrouver, depuis la rentrée, des clients en bien moins bonne santé que je ne l’imaginais : anxiété généralisée, crises d’angoisse, fatigue incommensurable, troubles du sommeil, instabilité émotionnelle… sont présents à des niveaux relativement élevés – chez les adultes comme chez les enfants.
Thérapeute depuis 2003, je peux affirmer que la situation actuelle n’a rien de comparable à ce que nous avions déjà connu jusqu’à présent. J’ai, pourtant, déjà perçu un regain d’anxiété en 2008 lors de la crise économique – alors que beaucoup de personnes s’inquiétaient pour leur travail, leurs finances, leur avenir… En 2015, cette inquiétude est revenue fortement après les attentats (Charlie, hypercacher, Nice…). Les lieux publics semblaient menaçants, la rue ne paraissait plus sûre, les transports généraient de l’anxiété. A cette période, j’ai pu observer – ainsi que d’autres confrères – une recrudescence significative des crises d’angoisse – en particulier dans les lieux publics ou les transports en commun.
Cette crise cumule tous ces critères. Et cette troisième vague qui monte – apparue depuis la rentrée – s’apparente à un burn-out social pour cause de Covid.
Un burn-out social
Le terme burn out (littéralement, une « combustion intérieure ») est majoritairement employé dans le cadre du travail. On le nomme également « syndrome d’épuisement professionnel ». Par extension, on l’applique à des situations où la fatigue et le sentiment de débordement se combinent – comme dans le cas du burn-out maternel, par exemple. Sans pouvoir faire l’objet d’un diagnostic, il est cependant défini selon trois critères cumulatifs.
Or, la crise actuelle en présente tous les aspects :
- Une fatigue physique et un épuisement émotionnel persistants.
Nos patients sont « à bout » : épuisés, vidés. Cette fatigue est d’autant plus préoccupante que leur sommeil est souvent perturbé, ce qui les empêche encore plus de récupérer. Cet épuisement physique favorise un sentiment de lassitude et a des répercussions émotionnelles : ils éclatent en sanglots à la moindre évocation difficile. Leur humeur est triste et instable. Les médecins généralistes et les psychiatres relèvent de leur côté une augmentation des dépressions.
- Un cynisme plus ou moins affiché.
Consciemment où non, ils développement un discours empreint de négatif : plaintes fréquentes, ruminations contre ceux qui nous gouvernent, menaces de tout laisser tomber, soupçons de complotisme, agressivité, impulsivité de leurs réactions… Ces deux derniers points sont caractéristiques de cette période. Chez des personnes habituellement équanimes, des pics émotionnels surgissent subitement : manifestations brutales d’impatience, d’irritabilité, gestes d’agacement….
- La diminution de l’accomplissement personnel.
Le sentiment d’impuissance se combine au manque de perspectives d’évolution. Et ce, dans tous les domaines de la vie. Comment se « réaliser » ? Habituellement, au cours d’une épreuve de vie, si un secteur de la vie est touché (le couple, la santé, le travail…) les autres restent cependant intacts et peuvent être réinvestis pour aider la personne à s’en sortir, à se relever ou à se dépasser. La motivation, qui tire l’individu vers le haut, provient d’autres projets, d’un autre entourage soutenant. Dans le cas de la crise sanitaire actuelle, il n’en est rien puisque tous les aspects de notre vie sont concernés. Il y a peu d’échappatoires. Certains imaginent déjà qu’il n’y a aucune issue. C’est aussi démotivant que décourageant.
Au delà de ces critères, il en est un qui pose le plus de problème, c’est la perte de l’insouciance. Car si on peut accepter sur un court temps la remise en cause de certaines de nos libertés publiques, pour notre propre bien ou celui de nos congénères, force est de constater que la légèreté d’être ne nous est plus possible aujourd’hui. Partir en week-end à l’improviste, faire une surprise à un ami chez qui on débarque, préparer un anniversaire, improviser un dîner, marcher le nez au vent… Toute action suppose désormais une préparation dûment réfléchie – pour s’assurer du niveau de prévention et de sécurité nécessaire. Impossible de faire un projet au pied levé, ni de céder à la spontanéité. D’ailleurs, certains projets personnels ou professionnels dûment planifiés doivent être reportés, voire annulés – et il est clair que quelques-uns parmi eux ne verront même jamais le jour. C’est un peu comme si la joie et le plaisir nous étaient interdits – et de manière indéterminée. L’espoir a pris le large. Et si le virus cible quelques individus (toujours trop), ce burn-out là touche tout le monde, même si c’est à des niveaux d’intensité différents.
Difficile, dans de tels moments, de positionner un accompagnement juste. En tant que sophrologue, l’essentiel de mon travail se place dans la gestion à l’instant T des symptômes les plus gênants : atténuation des manifestations de l’anxiété, rétablissement d’un bon sommeil, limitation des pensées négatives, prise de conscience des ressources internes, déclenchement de l’adaptabilité… Axer sur le positif est extrêmement compliqué en ce moment. C’est peu, mais c’est déjà cela – en attendant que les événements évoluent et nous donnent à nouveau pleinement accès à tout notre potentiel, dans la liberté de nos choix et de nos actions.