C’est le cas, autant pour des œuvres classiques que pour de l’art contemporain. Je me souviens du choc que j’ai eu, la première fois que j’ai vu une des installations de l’Argentine Liliana Porter. Au-delà de Coulommiers, à Boissy-le-Châtel, une vieille imprimerie a été transformée en lieu d’exposition par des galeristes italiens : Galleria Continua. Le bâtiment est immense et, au milieu de ces anciens hangars industriels, on découvrait de minuscules personnages, absorbés dans des tâches hors d’échelle pour eux.

Entre désespoir et tendresse

La signification première est évidente. Ces mises en scènes appartiennent à une série appelée « travail forcé ». Elles nous parlent de l’aliénation au travail. Mais l’emploi de figurines qui ressemblent à des jouets, véhicule un deuxième sens, qui renvoie à l’enfance, voire au jeu. Cela installe, en fait, une tension entre le désespoir et la tendresse, entre la distance et la proximité. Liliana Porter affirme, d’ailleurs, elle-même: « au travers de l’humour, je parviens à exprimer un certain degré de compassion » (Liliana Porter in conversation with Inés Katzenstein, Fundación Cisneros, 2013) . La distance de l’humour n’engendre, chez elle, ni cynisme, ni ironie, mais, comme elle le dit, de la compassion.

J’ai vu, par la suite, d’autres installations de cette artiste. Toutes n’évoquent pas des situations de travail. A la Biennale d’art contemporain de Venise, en 2017, elle avait présenté « l’homme à la hache et autres brèves situations », dont on voit une partie ci-dessous. (Installation à la Biennale de Venise en 2017. Photo Frédéric de Coninck)

La dimension tragique n’est pas absente, non plus, dans ce travail. On hésite, cependant, sur le rôle à attribuer au personnage qui tient la hache. Si on suppose qu’il est l’auteur du capharnaüm, cela voudrait dire qu’il va à reculons, ce qui ne colle pas tout à fait. On a plutôt l’impression d’une destruction qui le dépasse et dans laquelle il cherche sa place. Et, une fois encore, chez Liliana Porter, tout est affaire de tensions et de contrastes. La destruction cohabite chez elle avec le thème de la reconstruction. A droite de cette scène, à Venise, un personnage paisible, se livrait à une méditation aérienne, là aussi trop grande pour lui. (Figurine en contrepoint, dans l’installation de Venise, en 2017. Photo Frédéric de Coninck)

 

 

On se doute que la disproportion est au cœur du propos de cette artiste. Elle représente un monde qui dépasse de très loin les acteurs qui s’y agitent. Les larges espaces vides qu’elle laisse autour d’eux construisent, malgré tout, un silence, où le recul, la méditation et la recherche du sens peuvent se déployer.

De quelle espérance parlons-nous ?

Liliana Porter ne revendique pas de foi religieuse particulière, même si une forme de mysticisme émane de ses travaux. Mais elle rejoint le sens que je peux donner à l’espérance dans la société d’aujourd’hui. C’est une espérance qui ne va pas de soi, face à un monde complexe, dont les interactions mondialisées nous impressionnent et nous dépassent.

Un ami agnostique, que j’ai informé de la création de ce blog, a commenté d’une manière forte le mot « espérance » qui figure dans son titre : « A mes sœurs et frères sincèrement croyants j’adresse, très fraternellement, ce passage sublime des Pensées de Blaise Pascal, écrit en 1670 : « En voyant l’aveuglement et la misère de l’homme, et ces contrariétés étonnantes qui se découvrent dans sa nature, et regardant tout l’univers muet, et l’homme sans lumière, abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l’univers, sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra en mourant ; j’entre en effroi comme un homme qu’on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui s’éveillerait sans connaître où il est, et sans avoir aucun moyen d’en sortir. Et sur cela j’admire comment on n’entre pas en désespoir d’un si misérable état ». C’est là un fort beau commentaire des œuvres que j’ai brièvement présentées.

Le piège de n’accorder du sens qu’à ce qui est grand

Pour ma part, et j’en ai souvent plaisanté avec mon ami, je suis moins porté à la métaphysique que lui ! Pour moi, Dieu vient me rejoindre au milieu des décombres. C’est la présence fraternelle de Jésus-Christ qui m’accompagne jour après jour.
En ce moment, au début du carême, je relis, forcément les passages des évangiles où Jésus se dirige vers la confrontation finale. Le tragique est là, sans aucun doute. Mais, dans l’évangile de Marc que je lis en ce moment, on voit qu’il y a une différence entre le raisonnement des disciples et celui de Jésus. Les disciples ne veulent accorder de sens qu’à ce qui est grand (Mc 9.34). Et forcément, si on prend garde à l’échelle du monde qui nous dépasse, il est clair que nous ne serons jamais à la hauteur. Mais Jésus revient sur terre, dans des gestes quotidiens à qui il donne tout leur sens : accueillir un enfant, offrir un verre d’eau à celui qui a soif (Mc 9.37 et 41).

Et, donc, je reviens aux petites figurines. C’est à ce niveau que le Christ vient me rejoindre et il travaille à mes côtés. Et l’espérance qui m’habite trouve sa source dans sa présence, au milieu des mille gestes, joies et peines du quotidien.
Je peux le dire autrement. Jésus parle à ses disciples de sa mort prochaine, mais, perdus dans leurs rêves de grandeur, ils ne comprennent rien à ces paroles. Or ce que dit Jésus est que les gestes d’attention à l’autre, qui sont à la portée de chacun, sont de même nature que le don de lui-même qu’il fera sur la croix. Bien sûr, ce geste du Christ a quelque chose d’unique et de cosmique. Mais il donne sens à ce qui tisse nos journées. Et la résurrection, qui est notre espérance, ne survient que sur l’horizon de la générosité que tout un chacun peut mettre en action, même dans un contexte défavorable.
Mon ami agnostique me cite, également, la première épître de Jean : « Dieu, nul ne l’a jamais vu. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous » (1Jean4.12). C’est bien là mon expérience, autant que mon espérance.

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