Nunchi. Ce mot coréen peut être traduit littéralement par « mesure de l’œil » – en clair, il désigne ce que l’on peut observer. Pratiqué depuis des millénaires en Corée, il a été popularisé en Occident récemment par plusieurs ouvrages parus aux Etats-Unis et en France.
Les spécialistes de la programmation neuro-linguistique (PNL) le rapprocheraient sans doute de la prise en compte du langage non-verbal dans tout échange, qui tient compte de tout ce qui ne passe pas par les mots : expressions, posture, mimiques ou gestes. Les tenants de la communication bienveillante lui trouvent des airs de ressemblance avec l’écoute active. Il est un peu tout cela à la fois, et même un peu plus.
L’objectif du nunchi est d’avoir une compréhension fine des pensées et émotions d’un interlocuteur, afin d’adapter justement la relation. Il repose à la fois sur l’intelligence émotionnelle et l’intelligence sociale, en privilégiant le fait de bien comprendre ce qui se passe entre deux personnes, pour que leur interaction soit équilibrée et harmonieuse. Il met en valeur la communication en face à face, l’écoute, la parole juste et l’absence de biais cognitifs. A ce stade, on serait en droit de se demander pourquoi il n’est pas enseigné aux grands de ce monde !
Les grands principes du nunchi
Pour entrer dans cette pratique délicate, il est important de passer par différentes étapes :
– Mettre ses a priori de côté
Avant de débuter tout échange ou relation, on décide de se débarrasser pour un temps de ses jugements ou croyances sur une personne ou une situation, en maintenant une position la plus neutre possible.
– Observer attentivement
C’est le point central de la méthode. Il commence par le silence, pour accueillir l’autre dans ce qu’il est, en lui laissant le temps nécessaire pour s’exprimer ou tout simplement être présent. Le silence – et aussi la patience – sont des qualités peu pratiquées en Occident mais indispensables pour décoder tout ce qui ne se dit pas et se connecter aux ressentis d’une personne que l’on côtoie. Il faut faire confiance à son intuition car dans cette écoute active, un petit détail (intonation, mimique) peut avoir toute son importance. Inutile de préciser que dans cette étape, on met aussi les écrans et téléphones de côté.
– Adapter son comportement et sa réponse
Une fois cette compréhension affinée, il devient possible de considérer ce que révèlent réellement ces émotions ou pensées cachées et comment elles résonnent avec notre propre vécu, nos propres envies et nos propres besoins – et réaliser combien elles peuvent fausser la relation ou la communication si l’on n’en tient pas compte. Il va donc falloir s’y adapter avec bienveillance et équilibre. A ce stade, demander de temps en temps aux autres comment ils perçoivent nos interactions peut nous fournir des informations précieuses pour améliorer notre nunchi.
– Respecter l’autre
Il existe un principe fondamental dans la culture asiatique : ne rien faire qui puisse mettre une autre personne mal à l’aise. Donc, on n’aborde pas le sujet ou le non-dit perçus de manière frontale, ni devant témoins, mais on envisage comment on peut prendre en considération ces nuances.
Comment appliquer le nunchi dans la vie courante ?
Dans le cadre familial, le nunchi permet de renforcer les liens et surtout de prévenir les conflits, notamment en anticipant les besoins. Le meilleur exemple est sans doute celui de la charge mentale. Il serait bienvenu qu’un conjoint puisse remarquer que son épouse semble fatiguée ou stressée et l’aider dans ses tâches quotidiennes sans qu’une demande explicite ne soit formulée. Cette porte claquée un peu fort, ce ton de voix excédé ou ces soupirs sont des signaux faibles qui peuvent être décodés sans trop de peine.
Ou bien, on peut choisir le bon moment et le bon ton pour aborder avec un adolescent un sujet délicat, en tenant compte de son état émotionnel – et du nôtre, plutôt que d’attendre que la question ne se transforme en crise.
Au travail, lors d’une réunion, s’attacher à percevoir les réactions non verbales des collègues permet d’ajuster sa présentation ou son argumentation en conséquence. Mais aussi, détecter les tensions naissantes entre collègues offre la possibilité d’intervenir de manière discrète pour apaiser la situation avant qu’elle ne dégénère.
Chercher à pacifier les relations est louable, mais cette approche peut cependant avoir des limites. Une attention excessive aux signaux sociaux peut entraîner une perte d’authenticité dans la relation. Ou même, si l’on se révèle excessivement soucieux de l’opinion d’autrui, le risque est de négliger ses propres besoins et convictions. L’hypervigilance proposée par le nunchi peut également générer du stress et de l’anxiété, dus à la crainte constante de mal interpréter les attentes sociales.
Enfin, dans des environnements multiculturels, une interprétation erronée des signaux sociaux peut créer des malentendus, du fait des différences de normes et d’attentes d’une culture à l’autre. Ainsi, bien que le nunchi soit un outil intéressant pour surfer sur les interactions sociales, il est essentiel de l’appliquer avec discernement pour maintenir un juste équilibre entre sensibilité aux autres et authenticité personnelle.
Pour aller plus loin :
- « Le livre du nunchi – le secret coréen du bonheur et du succès », Euny Hong, les Editions de l’homme, 2019
- « Nunchi. Connectez-vous aux autres. La méthode coréenne pour développer sa capacité à deviner ce que pensent et ressentent les autres pour une vie harmonieuse », Déborah Romain-Delacour et Jimin Lee, Eyrolles, 2024