En 2024, le film qui a emporté tous les cœurs, et réalisé le plus beau score d’entrées en France est un film français, « Un petit truc en plus ». Devançant des blockbusters comme « Dune 2 », et même « Le Comte de Monte-Cristo », la petite troupe dirigée par Artus a engrangé plus de 10 millions d’entrée, et bousculé nos a priori sur le handicap. Dans cette comédie à première vue légère, la plupart des acteurs jouent leur propre rôle, ou presque. Porteurs de handicap dans la vraie vie, ils ont montré une capacité à en rire, sans ironie, et défendu une image positive, joyeuse, de la diversité. Chacun, avec son unicité, a tôt fait de se moquer gentiment des difficultés des autres. Des marches du Festival de Cannes au relais de la flamme des Jeux olympiques 2024, ces jeunes professionnels avec un petit truc en plus – et parfois en moins, ont su séduire le public. Certains avaient déjà joué dans des films ou des séries, d’autres étaient de parfaits inconnus qui ont dû passer un casting. A présent on les reconnaît dans la rue et on les arrête pour un selfie.

Une autre image du handicap

Interviewés par les médias, la plupart des comédiens du film ont livré des témoignages sincères et étonnants, montrant des versants du handicap qui mettent à mal nos croyances ou notre tendance à la commisération. Mayane Sarah El Baze, porteuse d’une trisomie 21, a plus de 300 000 followers sur TikTok (@trisomiquemaispasque) et a donné une interview à Sept à Huit, dans laquelle elle ne cache pas ses ambitions cinématographiques. On y découvre une jeune fille de son âge, à la fois pudique et ultra coquette, avec des projets à la hauteur de ses rêves, passionnée de danse – que ce soit chez elle ou sur le plateau de « Danse avec les stars ». Une véritable actrice. Sa joie est contagieuse et nous fait toucher du doigt l’essence et la beauté de sa personne, sans lien avec les déficiences qu’elle rencontre.

Les « Rencontres du Papotin »

Stanislas  Carmont, la vingtaine lui aussi, vit avec un trouble du spectre autistique. Son visage, mais surtout sa diction particulière, sont familiers des fans des « Rencontres du Papotin ». L’émission diffusée une fois par mois sur France 2 est une émanation du journal éponyme, né dans un hôpital de jour des Hauts-de-Seine, et dont les articles sont rédigés par « des journalistes atypiques ». La force du Papotin, c’est l’interview de célébrités, et les questions aussi directes que décapantes de ces journalistes si peu amateurs. On est loin du politiquement correct mais on rit (souvent) et on est touché (beaucoup) par tant d’authenticité.

De Philippe Katherine à Charlotte Gainsbourg plus récemment, en passant par Emmanuel Macron, Christiane Taubira ou Julien Doré, ils sont tous passés à la moulinette des questions sans filtre, parfois décalées mais toujours justes. Stanislas n’est pas qu’un intervieweur. Il est l’un des piliers du groupe « Astéréotypie ». Et là, on touche au génie ! Sur les rythmes post-punk de musiciens professionnels, les auteurs, tous autistes, se déchainent. C’est rythmé et drôle. Les textes sont aussi corrosifs que poétiques. Je vous mets au défi de ne pas onduler en entendant Claire Ottaway scander qu’elle est une « Cheese bad girl ».

Et cette année, comme un couronnement, 18 journalistes avec autisme du Papotin vont couvrir pour la première fois le Festival de Cannes. Les stars n’ont qu’à bien se tenir, car on attend avec impatience leurs interviews qui vont être tout prochainement diffusées sur France 2 !

Tous différents, tous humains

Alors, je me suis demandé pourquoi ça nous touchait autant. Pourquoi « ces plus petits d’entre les nôtres » nous interpellaient autant. Je ne peux pas croire que c’est la seule conscience de « la chance que nous avons d’être en bonne santé » qui nous rend ces jeunes « différents » si attachants. Ni la seule admiration qu’ils éveilleraient en nous pour « avoir dépassé leur handicap ». Ce misérabilisme serait indigne d’eux. Je pense que c’est au contraire la conscience profonde de ce qui nous relie, ce que nous avons en commun et fait de nous des humains. Ils nous révèlent quelque chose de grand qui nous échappe souvent, ils touchent à une dimension essentielle que nous avons oubliée – ou que nous dissimulons derrière les paravents des conventions sociales, les hauts murs de la normalité.

Handicapés en apparence seulement, je les considère plutôt comme des humains augmentés, quand nous autres « valides » sommes si souvent des handicapés de la relation sociale.

Ils nous renvoient, comme un reflet, celles de nos difficultés que nous cachons, par peur du regard des autres, des jugements, de la comparaison, des critiques… Comment font-ils, eux, quand nous sommes si peu disposés à laisser entrevoir nos faiblesses ? Et quand avons-nous perdu cette faculté à dire les choses aussi simplement ?

Il me vient tout à coup ces quelques versets des Béatitudes :

Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage (…)
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. (Matthieu 5-5, 8)

Artistes avec un handicap, un trouble du neurodéveloppement ou une « différence », avec leur poésie et leur authenticité, ils nous aident à grandir.