Parler d’« existence » en ce qui concerne l’inconscient est en soi un abus de langage.
Mécanisme psychique par essence, l’inconscient n’a aucun support cognitif. Il s’oppose à la conscience, car ses contenus ne sont pas immédiatement compréhensibles, on n’en perçoit que les manifestations à travers rêves, actes manqués ou lapsus. A la fin du XIXème siècle, Sigmund Freud a eu l’intuition des mécanismes inconscients, comme autant de phénomènes refoulés ou cachés. Expériences, actions, émotions, souvenirs, paroles dites ou entendues ou encore critiques reçues mais aussi pulsions, désirs et fantasmes sont comme capturés et retenus par l’inconscient, pour nous protéger de sentiments ambigus mais surtout douloureux à (re)vivre, et susceptibles de provoquer de la honte ou de la culpabilité – ces dernières étant largement dépendantes de l’éducation ou de la morale dans lesquelles on a grandi.

Jung, un pur produit de son histoire familiale

Le psychiatre suisse Carl-Gustav Jung s’inscrit comme un disciple de Freud. Si le jeune médecin est fasciné par la théorie psychanalytique développée par celui qu’il considère comme son père spirituel, leur amitié finit en rupture sur le fond. Dans sa lignée paternelle, Jung compte des médecins, et il est petit-fils et fils de pasteur. Sa mère était également fille de pasteur, mais sa grand-mère possédait des dons occultes et les femmes dans sa lignée maternelle prétendaient communiquer avec les défunts. Jung grandit dans une famille où médecine, spiritualité et ésotérisme se côtoient, et dans laquelle la légende familiale rapporte une possible parenté illégitime d’un de ses ancêtres avec Goethe. Ce contexte peut expliquer sa passion pour les liens familiaux, l’invisible et le poids des secrets, et l’amènera à faire sa thèse de doctorat sur le spiritisme.

De l’inconscient collectif à l’inconscient familial

C-G Jung va pousser plus loin la théorie freudienne de l’inconscient individuel, en établissant qu’il y a chez chaque personne un inconscient impersonnel, dont les contenus sont collectifs. Il parle alors d’inconscient collectif – partagé par un grand nombre d’individus. Il comprend plusieurs strates. L’inconscient familial est donc un sous-groupe de cet inconscient collectif : chaque individu d’une même famille a potentiellement accès à des informations cachées, qui sont communes et appartiennent à l’inconscient familial.

Toute famille est un système, qui fonctionne avec des règles connues (culture, éducation, valeurs…), des transmissions affichées (noms, histoires, photos, éléments de patrimoine…), mais aussi des injonctions plus souterraines agissant à travers l’inconscient familial. Aucun membre n’en a totalement la connaissance, mais chacun est susceptible de s’y conformer, comme victime d’un programme qui tournerait tout seul.

L’inconscient familial véhicule des secrets de famille, entretient les loyautés « plus fortes que soi », garde la trace de « fantômes », crée les principes de répétition, auxquels se plient certains membres d’une même famille, sans même l’avoir décidé – et parfois sans pouvoir s’en libérer.

La semaine prochaine, nous nous pencherons plus précisément sur les secrets de famille.

Pour aller plus loin :

– Jung, un voyage vers soi, Frédéric Lenoir, Albin Michel, 2021
– Psychologie de l’inconscient, Carl-Gustav Jung, Le Livre de poche, 1996

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