En 1964, Sidney Poitier fut le premier Afro-Américain à remporter l’Oscar du meilleur acteur pour Le Lys des champs.

Un très beau film construit dans la simplicité sans violence ni mauvais goût… un hymne à l’amour et à la tolérance où Sidney Poitier illuminait l’écran en étant à la fois drôle et très attachant ! À l’époque Poitier a 37 ans et lorsqu’il reçoit son Oscar, Sidney Poitier n’est que la seule véritable vedette noire de la capitale du cinéma. « Le voyage a été long pour en arriver là », lançait-il très ému, en recevant la prestigieuse statuette.  « L’industrie cinématographique n’était pas encore prête à élever plus d’une personnalité issue des minorités au rang de vedette », analysait-il plus tard dans son autobiographie This Life.  « J’endossais les espoirs de tout un peuple. Je n’avais aucun contrôle sur les contenus des films […], mais je pouvais refuser un rôle, ce que je fis de nombreuses fois ».

 

Figure emblématique, acteur avant-gardiste, symbole de liberté et défenseur des droits de l’Homme, un autre film marquera sa carrière en 1967 Devine qui vient dîner ? Sidney Poitier y joue le rôle du fiancé d’une jeune bourgeoise blanche le présentant à ses parents, un couple d’intellectuels qui se croient ouverts d’esprit. La rencontre est un véritable choc… et donne un long métrage qui marquera toute une génération sur le racisme de l’époque, bien au-delà des États-Unis. Un film qui a inspiré nombres de réalisateurs comme dernièrement encore, dans un autre registre de genre, Jordan Peele avec Get Out.

Plus largement, et grâce à ses rôles, le public a pu être conduit à concevoir que des Afro-Américains n’étaient pas cantonnés à jouer des rôles caricaturaux qui incombaient uniquement à eux à cause de leur couleur de peau. Ils pouvaient jouer n’importe quel personnage… être médecin (La porte s’ouvre – 1950), ingénieur, professeur (Les anges aux poings serrés – 1967), ou encore (et même) policier (Dans la chaleur de la nuit – 1967). L’ancien président des États-Unis Barack Obama (2009-2017), lui aussi premier Afro-Américain à ce poste, avait décoré l’acteur de la Médaille présidentielle de la liberté, la plus haute distinction qu’un civil puisse obtenir aux États-Unis, en 2009, et a salué là le fait qu’il « avait ouvert les portes à une génération d’acteurs noirs », ce qui a aussi été repris par différentes stars noires du cinéma (mais des arts plus largement encore) comme

Denzel Washington, Whoopy Goldberg, Kirk Whalum, le Alvin Alley Dance Theater, Viola Davis, Halle Berry, Morgan Freeman, Billy Dee Williams…

On se souviendra également qu’en 2002, la cérémonie des Oscars avait aussi été le théâtre d’un moment très émouvant où Denzel Washington avait remporté la statuette du Meilleur acteur devant les yeux de Sidney Poitier, lui-même récompensé la même soirée d’un Oscar d’honneur pour « ses performances extraordinaires, sa dignité, son style et son intelligence ».

Et justement concernant sa dignité, son style et son intelligence il peut être bon de s’intéresser aux écrits de Sidney Poitier comme son livre The Measure of a Man : A Spiritual Autobiography en 2000. Il y développe certaines valeurs, telles que l’intégrité et l’engagement, la foi et le pardon. Il y parle des vertus de la simplicité, évoque ce qu’il appelle les plaisirs significatifs, et le sens de la joie, sous la forme humble d’une autocritique attachante. Les réflexions spirituelles de The Measure of a Man sont clairement influencées par son expérience dans les Églises chrétiennes et le catholicisme de ses parents, sans se revendiquer explicitement lui-même comme strictement chrétien. Une foi personnelle disciplinée et rigoureuse, inspirée aussi par des leaders aussi divers que Gandhi et Nelson Mandela. Poitier a été riche et pauvre ; il a été populaire et méprisé ; et ses expériences extrêmement variées ont fait de lui un homme sage, comme il le démontre dans cet ouvrage.

Je terminerai avec un extrait d’une traduction d’un segment sur la religion et la spiritualité tiré de son autre livre écrit en 2007, Life Beyond Measure, sous-titré Lettres à mon arrière-petite-fille. Il avait alors 80 ans ; elle n’avait pas encore 2 ans.

 

Chère Ayele, 

            Comme tu l’apprendras avec le temps, il y a beaucoup de religions, beaucoup de sectes également, beaucoup d’images de Dieu. … Chaque culture a ses images. Bien que j’aie la mienne, qui diffère dans une certaine mesure des images des autres, mon image de Dieu me permet de la remettre en question, ainsi que moi-même. Sinon, pourquoi nous aurait-on donné une curiosité, une imagination, de l’instincts et des capacités perceptives ? Je crois que ces dons étaient et sont des outils de survie, sans lesquels nous n’aurions pas pu survivre en tant qu’espèce. Des dons qui nous ont été donnés, je crois, par l’image du Dieu que j’embrasse. 

            Cela m’amène à nouveau à ma propre position, à savoir que je crois qu’il existe une intelligence, qu’elle est illimitée, qu’elle est vivante, qu’elle est consciente, et que ce n’est qu’une partie de ce qu’elle est. Mais je ressens ceci à propos de ma vie, je sens que je suis constamment en présence de Dieu, je veux dire par là que je suis constamment en train de vivre ma vie en étant conscient que l’univers est conscient de moi et que je suis conscient de lui. J’ai le sentiment que le Dieu omniprésent a une relation avec moi et moi avec lui. Je dois alors accepter, ou plutôt insister, pour embrasser le Dieu qui, selon moi, prend soin de moi. Je n’aurais pas pu survivre comme je l’ai fait sous ma propre direction, mes déterminations ou mes propres choix. J’ai fait tous mes choix et je les assume tous, même ceux qui se sont avérés d’une manière ou d’une autre incorrects, indignes du moi que je percevais. Je n’attribue pas tout cela au fait que je me crois imparfait et limité, ce que je suis. Et ce sont nos erreurs et nos peurs, nos imperfections qui endommagent certaines des personnes qui nous sont chères, qui endommagent notre environnement. 

 (Il décrit ensuite son retour aux Bahamas pour la première fois en huit ans pour voir ses parents, et comment il a pu fournir de l’argent – grâce à ses débuts au cinéma – pour qu’ils puissent vivre dans une maison avec l’électricité, la plomberie intérieure… pour le reste de leur vie, puis il évoque cette rencontre familiale). 

            Ils ont parlé « des perspectives illimitées de la vie dans laquelle je m’embarquais, une vie au-delà de toute mesure, sans barrières pour savoir où je pourrais aller et qui je pourrais devenir. Et, alors que nous étions assis là, tard dans la nuit, personne ne l’a dit en soi, mais je sais qu’au plus profond de cette joyeuse occasion, nous pensions tous la même chose : « Il y a un Dieu ».