Avec Amal, un esprit libre, en salles mercredi 17 avril, le cinéaste belgo-marocain Jawad Rhalib s’attaque à la question de l’influence d’un islamisme radical au sein du milieu scolaire belge. Il met en lumière la peur que cela peut susciter chez les enseignants. Le résultat est un film d’une audace rare, qui prend aux tripes et donne à réfléchir.

Amal, enseignante dans un lycée à Bruxelles, encourage ses élèves à s’exprimer librement. De par ses méthodes pédagogiques audacieuses et son enthousiasme, elle va bouleverser leur vie. Jusqu’à en choquer certains. Peu à peu, Amal va se sentir harcelée, menacée.

Un cinéma militant

Décidément, en ce début 2024, le cinéma belge propose des œuvres qui osent, avec acuité et des trames dramatiques. Un cinéma souvent en quasi immersion, des fictions construites dans l’esprit du reportage, pour aborder des sujets de société forts et souvent clivants. Précisément, le réalisateur Jawad Rhalib vient du journalisme, avant de bifurquer vers le cinéma. Il est connu pour son cinéma social et engagé. Son style réaliste s’axe sur une observation et une dénonciation sans concession des tares et des ravages politiques, économiques et religieux sur nos sociétés. Des œuvres militantes, à l’image d’Amal, un esprit libre son dernier long métrage.

Dans un livre de 2015, « Heretic : Why Islam Needs a Reformation Now », Ayaan Hirsi Al, une écrivaine et femme politique néerlando-américaine d’origine somalienne écrit « le multiculturalisme ne doit pas signifier que nous tolérons l’intolérance d’une autre culture. Si nous soutenons effectivement la diversité, les droits des femmes et les droits des homosexuels, nous ne pouvons pas, en toute conscience, accorder à l’islam un passe-droit au nom de la sensibilité multiculturelle ». C’est de cette idée, qu’est né le film de Rhalib aux contours de thriller-social, où le spectateur demeure constamment sur le fil du rasoir, grâce à une intrigue bien construite et filmée de manière très serrée.

Portrait enflammé d’Amal, une professeure de littérature dans une école belge, confrontée à la levée de bouclier de certains élèves, parents d’élèves, mais aussi collègues professeurs quand elle décide d’enseigner les textes du poète arabe Aboû Nouwâs, à la suite du harcèlement d’une jeune élève musulmane suspectée d’être homosexuelle. Ces vers satiriques du 8e siècle vantant la liberté sexuelle de son auteur heurtent ces élèves du 21e siècle. C’est le début d’une escalade où se dévoileront un certain nombre de sombres réalités, mais aussi et surtout de peurs qui fondent des comportements et des décisions. « Lisez, posez-vous des questions, développez votre esprit critique, vous serez libre ! »

Amal est intimement convaincue que l’école peut être malgré tout une porte ouverte sur le monde, un lieu qui permet aux jeunes gens d’élargir leur champ des possibles.

Un corps professoral divisé

C’est pourquoi elle ne peut faire autre chose que de s’opposer aux obscurantismes, à la censure, à la mainmise de la religion sur le champ des arts et de la littérature, et ne saurait tolérer la mise à l’écart de textes quels qu’ils soient pour éviter la « provocation ». Son personnage est pratiquement tout le temps à cran, car à ses côtés, le corps professoral est divisé, avec notamment le fameux « pas de vagues » (dont on parle beaucoup actuellement… titre aussi d’un autre film à l’affiche), le besoin d’ »apaiser les esprits », credo que martèle avec résignation la proviseure (Catherine Salée), face aux tensions communautaires auxquelles elle fait face.

Il faut aussi préciser ici le contexte belge où les cours de religions sont obligatoires et intégrés au cursus scolaire dans chaque école, les élèves choisissant la religion qu’ils souhaitent approfondir.

Aucun membre du corps enseignant n’a le droit de voir ce qu’il se passe dans la classe. Cette pratique est d’ailleurs actuellement remise en question par le gouvernement. À partir de septembre 2024, les cours de religion pourraient devenir optionnels, sur demande des parents, et sortiront du cursus.

Ici, c’est Nabil (merveilleusement interprété par Fabrizio Rongione), qui enseigne derrière des portes fermées. C’est un imam récemment radicalisé, un personnage étrange, poli et progressiste en apparence, mais avec des enseignements et attitudes fort différents quand il n’est pas observé.

Parmi les élèves d’Amal, une certaine diversité se côtoie, avec Monia, qui est aux prises avec sa sexualité et qui fixe l’adversité, Jalila, qui porte le hijab et qui est fondamentaliste dans sa foi, et Rachid, qui hésite sur ses croyances religieuses, en particulier lorsqu’il s’agit de l’imam, qui n’est autre que son oncle.

Ce qui fait la force du film, outre son message puissant sur l’intolérance religieuse mêlée à la liberté nécessaire pour vivre dans notre monde, c’est la performance puissante de la comédienne belge Lubna Azabal dans le rôle principal. Elle vient d’ailleurs de recevoir le prix de la meilleure actrice au festival de Tallin (Estonie) pour ce rôle.

Une très belle narration visuelle

Enfin il y a le remarquable travail du réalisateur. Dès les premières images, le ton est donné avec Monia, cette ado dans sa douche en pleur. Un simple plan sur son tatouage « memento mori », sur la vanité de la vie et d’une mort annoncée… On devine qu’elle a été agressée sans nul besoin qu’un mot ne soit prononcé ou la scène montrée. Une très belle narration visuelle globale avec un travail de caméra souvent à l’épaule, très proche des corps et utilisant les gros plans sur les visages pour nous donner de comprendre les émotions et les pensées.

Du cinéma qui bouscule, peut même déranger, mais qui participe à être aussi, au-delà du divertissement, une fenêtre sur notre monde, voire parfois un rempart contre l’intolérance et l’exclusion. Que celle et celui qui a des yeux, des oreilles, un cœur…