Après le succès retentissant, jusqu’à l’Oscar suprême, du réalisateur japonais Ryusuke Hamaguchi pour Drive My Car et dans l’attente de son prochain long-métrage la semaine prochaine, ce mercredi sortait Aristocrats de Yukiko Sode.

Dans une logique imposée de caste et d’idéal de pureté, Hanako, âgée de 27 ans et qui vient de voir ses fiançailles rompues, doit alors trouver un mari de « son cru ». Après quelques rencontres infructueuses arrive enfin le jour où elle finit par séduire un bel homme, doux, prévenant… et aristocrate ! Un mariage somme toute arrangé avec un bel avocat promis à une brillante carrière politique. Un vrai conte de fées semble commencer… Jusqu’à ce qu’Hanako tombe sur des échanges entre son mari et Miki. Celle jeune femme par contre vient d’un horizon diamétralement opposé. Elles vont alors se rencontrer.

Avec un tel pitch, on imagine alors aisément se tisser un scénario de vaudeville, le fameux triangle amoureux… avec sans doute un brin d’exotisme lié à la culture japonaise. Mais c’est une profonde erreur de penser ainsi quand derrière tout ça se trouve Yukiko Sode. La réalisatrice filme au contraire avec beaucoup de délicatesse ce choc identitaire où les bulles sociales se retrouvent à vaciller. Hanako est née à Tokyo, au sein d’une famille très aisée et Miki est une provinciale venue vivre dans la capitale après avoir grandi en province. Elle nous conduit vers une connaissance salvatrice mutuelle de ces deux femmes, pour échapper à une destinée tracée d’avance au-travers d’un portrait sensible et stratifié qui se dessine lentement. Bien qu’intelligente et déterminée, Miki, cette fille de la campagne qui grimpe les échelons n’a pas eu les mêmes avantages financiers ou sociaux que Hanako. Elle a dû se battre pour évoluer dans cette société compartimentée, en gardant une certaine fraîcheur et simplicité. Lorsque les deux femmes se rencontrent, les griffes ne sortent ici jamais. Bien au contraire, Hanako admire la confiance en soi de Miki, ainsi que la joie de vivre qui lui manque dans sa propre existence capitonnée. Ces deux personnages féminins ont pourtant un point commun en plus de ce même homme qui les conduit contre son gré à se connaître. Elles vivent dans un endroit qui leur est imposé mais finiront par aller vivre dans un endroit qu’elles ont choisi. Et tout cela sans facilité narrative mais un réalisme assumé, car il n’est pas aisé de passer d’une classe sociale à une autre.

Dans le rôle d’Hanako, Kadowaki Mugi incarne à la perfection les manières pudiques et raffinées des femmes japonaises « bien nées ». Face à elle, Mizuhara Kiko, mannequin et actrice américano-japonaise, est absolument brillante dans le rôle de Miki, une femme à la fois ferme et vulnérable, élégante et simple.

Au cœur de cette histoire de femmes, c’est aussi une ville qui se dévoile.

Tokyo est filmée à travers les points de vue de ces protagonistes appartenant à des classes qui ne la vivent pas de la même manière. Leurs regards sur la cité sont diamétralement opposés et influence habilement notre propre regard. Sode joue sur les contrastes et les idées préconçues… un tout petit appartement en désordre peut ainsi devenir un lieu où l’on se sent bien parce qu’il respire la vie. Son cadrage angulaire dans certains moments, plein de baies vitrées et de lignes dures, ajoute aussi au sentiment que le mariage n’est ici guère plus qu’une vitrine pour une femme trophée. Il est enfin intéressant de percevoir que les personnages se dévoilent souvent autour d’une table, d’un verre, d’un dîner. Des instants stratégiques pour dire qui nous sommes… Ces scènes de repas et les lieux où ils se déroulent sont ici particulièrement bien travaillés et représentatifs des divergences de classe. Ils participent à la compréhension des enjeux profonds qui se cache derrière les personnages.

Aristocats est une véritable critique acide de la société nippone mais tout en délicatesse et poésie… Yukiko Sode met en scène subtilement ce chemin qui conduit vers l’émancipation et signe un film engagé et beau.