Certes le tableau n’est pas connu et le peintre qui l’a commis ne bat pas des records en salle des ventes. Mais l’œuvre a été acquise pour sa capacité à générer un ressenti. C’est d’ailleurs son titre : Évocations. À première vue on peut en dire qu’il est abstrait, vraisemblablement d’inspiration post-cubiste, composé de glacis successifs rendant une sorte de transparence et qu’on y discerne des ébauches de formes. Mais ce constat n’a pas de sens en lui-même.

Une lecture évolutive

Certains s’arrêteront là et se diront peut-être qu’il est facile de jeter de la peinture sur une surface et de prétendre qu’il s’agit d’une œuvre. La lecture de tableaux de ce genre est cependant d’un autre ordre et peut être comparée à celle des premiers chapitres de la Genèse, évoquant dans des termes symboliques la création du monde et l’expérience fondamentale de la vie humaine. Cela nécessite de ne pas s’attacher uniquement à la première lecture.

Sachant qu’il s’agit d’une évocation, le spectateur de ce tableau devient acteur dès qu’il s’attache à ce qu’il ressent sur un plan général. Son esprit cherche alors instantanément à qualifier son impression globale, les couleurs, les traces de mouvement ou les jeux de lignes. Son œil habitué à identifier le concret l’amènera à tenter de discerner des formes, des perspectives, éventuellement des points de passage entre les formes ou des zones plus plates. À ce stade de la lecture, l’œil et l’esprit s’accordent pour s’appuyer sur ce qu’ils connaissent et recherchent du sens. Par exemple, une ébauche de globe contenant des masses plus sombres peut évoquer la terre, ou les traits en bas à droite une biche qui se désaltère.

L’artiste, témoin du spirituel

S’établit alors un dialogue à distance entre le peintre et le spectateur, par la médiation de l’œuvre. Mais en matière d’art contemporain abstrait, ce dialogue n’est souvent pas direct, ce qui le rend intéressant. Car l’artiste n’a pas forcément voulu dire quelque chose de précis, il transmet un ressenti personnel. Sa peinture est devenue le support d’une expression qu’il ne maîtrise pas et par laquelle passent des éléments qu’il ne connaît pas. Un psychologue traduirait cette idée en expliquant que son inconscient parle dans sa toile ou à travers les gestes transmis à son pinceau. Un théologien parlerait de la spiritualité qui dépasse ce que l’être humain peut en déceler, voire d’inspiration.

Le fait est qu’à travers un tableau, l’artiste exprime des éléments de lui-même dont parfois il n’a pas conscience. Et symétriquement, le spectateur entre en résonance avec l’œuvre dans des dimensions personnelles ou intimes dont il ne se doute pas. Ce terrain de dialogue par la médiation d’une œuvre d’art est celui de la spiritualité, laïque ou religieuse. Une forme de témoignage s’instaure entre l’artiste et celui qui regarde.

De l’émotion à l’inspiration

Le tableau proposé ci-contre peut ainsi receler un message inconnu de son auteur, qui rapproche l’observateur des premiers chapitres de la Genèse. Comme le marquent les petites pastilles au-dessous, ce qu’on y dis- tingue peut par exemple évoquer le monde, la création animale, la présence humaine derrière laquelle s’inscrit une protection, des passages possibles entre le monde et les cieux, et même un regard troublant de vieillard qui rappelle une figure paternelle.

Ces indices inspirent souvent aux enfants en catéchèse des impressions personnelles concernant la Création, la bénédiction ou le sentiment de protection qu’ils peuvent éprouver. Leurs découvertes lancent instantanément des débats sur la spiritualité et offrent aux jeunes comme aux adultes la possibilité de relier ces sujets majeurs de la Genèse à des émotions personnelles ou la révélation d’une intimité qu’ils n’avaient jusque-là pas pu formuler. Sans forcément le vouloir, le peintre a servi de passeur de sens et ouvert un chemin spirituel. C’est le propre de cet art si peu académique.