Le cinéaste, scénariste, dialoguiste, producteur et écrivain français Bertrand Tavernier est mort à l’âge de 79 ans ce jeudi 25 mars 2021 dans le Var. L’annonce a été faite officiellement par l’Institut Lumière à Lyon qu’il présidait et le cinéma est en deuil.

C’est une immense figure du cinéma français qui s’en va, mais aussi un artiste engagé à la filmographie très diverse avec, cependant, une prédilection prononcée pour les sujets sociétaux. C’est ainsi qu’on lui doit des films policiers, politiques, historiques, des films d’aventure ou de guerre… Une œuvre parsemée de gravité et d’émotions où ressortent une profonde aversion contre les injustices, le racisme, la drogue ou le chômage en donnant la part belle à la narration et à des personnages souvent atypiques et au caractère bien trempé. Ce n’est pas pour rien que le titre du livre de Jean-Luc Douin pour évoquer sa vie est Bertrand Tavernier, cinéaste insurgé. Son programme revendiquait l’héritage d’Hugo le lyrique et de Zola l’indigné : fuir la sobriété, tordre les préjugés, cultiver l’irrespect. Douin voyait dans son travail une générosité lui permettant de traquer les malaises de ses concitoyens. « Je me sens complice de cette touque joyeuse qui le fait casser des vitres, foncer dans la dénonciation des hypocrisies, et nous invite à partager sa colère. Je suis touché par son obstination à distiller l’émotion. » écrivait-il à son propos. Des films qui en sommes étaient tout simplement traversés par la vie, l’amour, la joie en laissant paraitre et interroger nos parts d’ombre. Nous sommes là sans doute au plus près d’une des raisons d’être fondamentale du cinéma.

Tavernier s’attachait à construire ses récits à partir d’événements qui le bousculait, qu’ils soient inscrits dans le passé ou bien actuels. Mais lorsqu’il traite ainsi des épisodes de l’histoire, il privilégie le prisme d’anonymes ou, du moins, de figures méconnues. En procédant de la sorte, il laisse sa mise en scène rencontrer le chemin particulier de ses personnages au cœur d’une plus « grande histoire » qui s’observe alors en filigrane. Il apparait pour moi, dans cette façon d’opérer, une forme de métaphore biblique où le projet divin se dessine dans l’expérience individuelle et, souvent, dans le récit de celui qui n’aurait vraisemblablement pas été « casté » pour le rôle mais qui pourtant devient révélateur et lumière. Une « Histoire » ou une « Bonne nouvelle » qui se joue presqu’à l’insu de ses personnages tel un hasard qui s’écrit avec un D comme Dieu.

Véritable explorateur des genre

Bertrand Tavernier laisse son empreinte dans l’histoire du septième art, tel un véritable explorateur des genres mais aussi tel un transmetteur, un témoin amoureux de la pellicule. Il fut d’ailleurs extrêmement investi dans la préservation et la transmission des films, mû à la fois par le souci de défendre un cinéma français indépendant et la passion pour le cinéma américain du XXe siècle.

Ses films ont naturellement été largement récompensés : prix Louis-Delluc en 1973 pour « L’Horloger de Saint-Paul », nomination aux Oscars 1983 pour « Coup de torchon », prix de la mise en scène à Cannes en 1984 pour « Un dimanche à la campagne », BAFTA 1990 du meilleur film étranger pour « La Vie et Rien d’autre », Ours d’or 1995 à Berlin pour « L’Appât », Lion d’or à Venise pour l’ensemble de sa carrière, cinq César (dont ceux de meilleur réalisateur en 1976 pour « Que la fête commence » et en 1997 pour « Capitaine Conan ») sans compter une bonne quinzaine de nominations.

Et pour conclure, ces mots de Tavernier extraits de « ça commence aujourd’hui » : Il y a des choses qu’on ne rasera jamais ici ! C’est dans la chair ! ça parle ! C’est dans la terre ! Des tas de petits cailloux mis un par un ! C’est la main de nos parents, leur patience accumulée à résister aux pluies, à l’horizon, en faisant des petits tas devant la nuit pour que la lumière de la lune s’y accroche ! Pour s’inventer des montagnes et jouer à la luge ! Et croire qu’on atteint les étoiles ! On dira à nos enfants que c’était dur, mais qu’ils étaient des seigneurs, nos pères ! Et qu’on a hérité ça d’eux : des tas de cailloux et le courage pour les soulever qui va avec !