« Que Dieu bénisse l’enfant qui s’en sort tout seul » chantait Billie Holiday ou Eleanora Fagan de son vrai nom… mais hélas ce ne fut pas vraiment le cas pour elle… qui ne s’en est finalement pas vraiment si bien sortie.

Billie Holiday est l’une des plus grandes voix de tous les temps. Elle fut la première icône de la protestation contre le racisme ce qui lui a valu de puissants ennemis. A la fin des années 1960, la journaliste Linda Lipnack Kuehl commence une biographie officielle de l’artiste. Elle recueille 200 heures de témoignages incroyables : Charles Mingus, Tony Bennett, Sylvia Syms, Count Basie, ses amants, ses avocats, ses proxénètes et même les agents du FBI qui l’ont arrêtée… Mais le livre de Linda n’a jamais été terminé et les bandes sont restées inédites… jusqu’à présent. BILLIE est l’histoire de la chanteuse qui a changé le visage de la musique américaine et de la journaliste qui est morte en essayant de raconter l’histoire de Lady telle qu’elle était.

C’est un véritable trésor d’entretiens audio réalisés dans les années 1970 qui constitue la base d’un documentaire passionnant sur celle qui incarne sans doute le mieux le jazz vocal féminin. Outre les extraits de films personnels et quelques passages télévisés ou concerts de la défunte star, la bande-son du documentaire de James Erskine est presque entièrement constituée de témoignages audio inédits de ceux qui ont réellement connu Billie. Des entretiens réalisés par Linda Lipnack Kuehl, une journaliste, qui avait consacré sa vie, durant la décade précédant sa mort (son corps a été découvert au matin du 6 février 1978 dans une rue de Washington D.C., une mort brutale et suspecte par défenestration), à retracer la véritable histoire de la légendaire chanteuse Billie Holiday.

Tony Bennett est peut-être le seul homme dans ces cassettes minutieusement récupérées qui soit encore au pays des vivants ; parmi les autres personnes interrogées, on trouve des amis de Lady Day, des parents, des compagnons de cellule, des musiciens bien sûr… mais même, croyez-le ou non, un officier qui l’a arrêtée lors d’une de ses fameuses descentes de police pour trafic de drogue, et également un proxénète qui l’a poussée à se prostituer alors qu’elle était adolescente. Tous ces témoignages francs et directs ressemblent à des dialogues d’un vieux film noir oublié dont l’enquêteur rassemblerait les pièces d’un meurtre mystérieux. La mort tragique d’Holiday n’est peut-être pas un si grand puzzle à résoudre finalement, mais il est terriblement fascinant d’écouter le son de tous ces discours posthumes qui émeuvent ou nous font frissonner.

 

Car il y a de quoi, tel l’itinéraire de la star ressemble, malgré la gloire, davantage à celui d’un train fantôme qu’à une ballade en décapotable sur la côte adriatique. Tout ceux qui se sont intéressés un tant soit peu à l’histoire de Billie Holiday savent que tout n’a pas été rose, mais ce qui nous est raconté ici nous plonge au cœur de l’horreur. Celle d’une vie pas comme les autres certes, mais celle aussi d’une certaine Amérique souvent racontée dans de jolies fictions mais qui là prend la valeur d’un véritable document. Si Billie avait une forte tendance au masochisme, comme l’attestent ses amis, on arrive très vite à la conviction que sa vie s’est inscrite dans l’ordre naturel des choses, ayant été violée alors qu’elle était pré-adolescente et ayant commencé à faire ensuite des passes dès l’âge de 13 ans. Heureusement, tout le monde n’en a pas profité lorsqu’elle est devenue une star des années 30 et une superstar des années 40 et 50. « Je n’ai jamais couché avec Billie », dit ainsi fièrement John Hammond, le légendaire producteur-exécutif à qui l’on doit sa découverte, comme si c’était une noblesse presque inimaginable. Ajoutez à cela la pauvreté, le racisme, une violence terrible de son entourage et sa descente dans les drogues dures, le vrai mystère pourrait être de savoir comment elle n’a pas craqué des décennies plus tôt.

Enfin et surtout quand même, comment ne pas évoquer l’aspect musical de Billie, car l’une des grandes réussites du projet est d’avoir su égrener tout au long de cette heure et demie quelques unes des plus belles chansons de l’artiste. Un voix incroyable, qui touche au plus profond des tripes. Un feeling toujours immense pour interpréter des textes qui ont la particularité de raconter, en quelques sortes, sa propre vie. Et James Erskine a su justement, avec intelligence, placer chaque chanson là où il faut, faisant écho indirectement aux commentaires audio et aux événements racontés. Comment ne pas avoir ainsi la chair de poule avec la version terrible de Strange Fruit ? Cette chanson évoquée ici comme « un cri primal contre l’histoire sanglante de l’Amérique blanche », illustrée de surcroit de photos bouleversantes et qui fera d’elle une véritable icône de la lutte anti-ségrégation raciale aux États-Unis. Comment ne pas souffrir avec Lady Day quand on l’entend interpréter My Man et que les témoignages racontent les coups et les abus subits ?

Billie est un documentaire fouillé et franchement passionnant. Un portrait brut, émotionnel et furieusement honnête, d’une femme extrêmement attachante malgré ses errances, d’une femme noire au cœur d’une ségrégation raciale innommable, d’une artiste écorchée vive qui a su laisser son empreinte dans l’histoire de la musique comme peu ont pu le faire.